Rada Akbar, artiste afghane: entre exil et résilience
Par Terriennes AVEC LES GRENADES
Rada Akbar a quitté Kaboul en août 2021, au moment de la reprise du pouvoir par les talibans. Elle vit depuis à Paris. Pour Les Grenades, l’artiste conte son récit d’exil, de reconstruction artistique et de mise en lumière de l’histoire des femmes.
Rada Akbar a quitté Kaboul en août 2021, au moment de la reprise du pouvoir par les talibans. Elle vit depuis à Paris. Pour Les Grenades, l’artiste conte son récit d’exil, de reconstruction artistique et de mise en lumière de l’histoire des femmes.
"Mes proches étaient très ouverts d’esprit, mais dès le plus jeune âge j’ai été exposée à la cruauté des inégalités entre les femmes et les hommes, en raison de ce qui se passait dans mon pays. Mes parents nous ont éduqués en répétant : ‘Telle est votre vie, vous allez devoir vous battre pour exister et vous battre pour les droits des autres filles et femmes.’", se souvient Rada Akbar.
Née en 1988 à Kaboul, Rada Akbar grandit durant la seconde guerre civile d’Afghanistan (1992-1996). Lors de la prise du pouvoir par les talibans en 1996, sa famille quitte le pays pour le Pakistan.
En tant que jeunes filles, mes sœurs et moi, nous nous faisions harceler dans la rue… Ça a mis plusieurs années à la population pour sortir du lavage de cerveau imposé. Rada Akba, artiviste afghane
En 2002, après la chute des talibans, la famille Akbar retourne à Kaboul. La ville est détruite et la population complètement anéantie par les années d’endoctrinement. "Le pays avait énormément changé. Les dégâts causés à la culture et à l’histoire étaient immenses. C’était terrible, comme un incroyable saut en arrière au niveau des mœurs et des mentalités. En tant que jeunes filles, mes sœurs et moi, nous nous faisions harceler dans la rue… Ça a mis plusieurs années à la population pour sortir du lavage de cerveau imposé."
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Femme artiste et activiste
Malgré les obstacles, Rada Akbar poursuit ses ambitions en étudiant les arts visuels et la photographie. Et ce, tout en défendant une vision féministe de la société. "À travers ma pratique artistique, j’ai commencé mes recherches sur le matrimoine afghan. Mon père avait une immense bibliothèque, ce qui m’a facilité l’accès aux sources."
Elle développe alors un projet intitulé Abarzanan-Superwomen, dédié à la mise en lumière des figures féminines historiques afghanes comme la reine Gawharshad Begum (1378-1457), Merman Parween (1924 – 2004) reconnue comme la première femme à avoir chanté en direct à la Radio de Kaboul en 1951 ou encore la poétesse Forough Farrokhzad (1934-1967). Toutes sont représentées à travers des robes sculpturales.
Mon projet était de créer un musée de l’histoire des femmes… J’étais sur le point d’y arriver quand tout s’est enchaîné. Rada Akbar, artiviste afghane
Une première exposition est organisée en 2018 et puis d’autres chaque année à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Rada Akbar, symbole du renouveau de la culture afghane, gagne en visibilité, que ce soit en Afghanistan ou à l’étranger. "Mon projet était de créer un musée de l’histoire des femmes… J’étais sur le point d’y arriver quand tout s’est enchaîné."
"Je ne pouvais pas imaginer quitter mon pays"
À partir du printemps 2021, après près de 20 ans d’absence, les talibans reconquièrent de nombreuses villes du pays. À Kaboul, la tension devient maximale.
Moi je ne pouvais pas imaginer quitter mon pays et tout ce que j’avais construit. Je ne voulais pas être réfugiée. Rada Akbar, artiviste afghane
"Deux semaines avant l’effondrement, j’ai réalisé une interview avec une journaliste française de l’AFP, Anne Chaon. Sans me prévenir, elle a parlé de moi à l’ambassadeur de France en lui demandant de m’aider. En fait, ce qui me tracassait n’était pas de me sauver moi, mais de sauver mes œuvres…. Je savais que la situation était hors de contrôle… Je demandais d’ailleurs à mes amis étrangers d’emporter mes pièces au fur et à mesure qu’ils fuyaient Kaboul. Moi je ne pouvais pas imaginer quitter mon pays et tout ce que j’avais construit. Je ne voulais pas être réfugiée."
Contactée par l’ambassadeur de France, on lui promet un visa, mais celui-ci tarde à arriver. Chaque jour, l’urgence se fait plus palpable, et ce, jusqu’au 14 août.
"J’ai reçu un appel d’une amie me disant : ‘Ils sont là.’ J’ai répondu : ‘Mais qui ? Les talibans ? Impossible.’ Elle pleurait. Personne ne pouvait croire que Kaboul était tombé. Tout le monde me téléphonait pour me dire de partir parce que je serais l’une de leurs premières cibles, mais je n’avais pas de visa et il n’y avait plus de vol…"
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"Si tu ne pars pas, je n’accepterai plus jamais de te voir"
Une heure plus tard, elle reçoit un appel de l’ambassade de France lui demandant de venir le plus vite possible avec un bagage de moins de vingt kilos.
"Comment partir sans ma famille ? Tout allait si rapidement ! Ma mère m’a dit : ‘Si tu ne pars pas, je n’accepterai plus jamais de te voir.’ J’ai partagé un dernier repas avec mon frère. Depuis la fenêtre, j’observais la colline et l’immense drapeau flotter. Je voulais tout enregistrer, ne sachant pas si je reverrais ce paysage un jour."
Tout le monde me téléphonait pour me dire de partir parce que je serais l’une de leurs premières cibles, mais je n’avais pas de visa et il n’y avait plus de vol…
Arrivée à l’ambassade, elle retrouve une amie française journaliste, Sonia Ghezali. "Nous avons été transférées en bus à l’aéroport militaire et nous avons décollé pour Abu Dhabi avant de repartir pour Paris. Le reste de ma famille a finalement pu partir en Angleterre et en Allemagne."
Une chambre à soi pour se reconstruire
Arrivée en France, elle obtient quelques mois plus tard le statut de réfugiée. Elle se met en lien avec différents réseaux d’artistes et associations féministes. "J’ai rapidement eu beaucoup de contacts. J’ai notamment découvert le programme Pause, qui soutient des chercheur·euses et artistes en exil."
Sélectionnée par ce programme, Rada Akbar bénéficie, à partir de la mi-novembre, d’un logement-atelier à la Cité des Arts de Paris.
"J’ai enfin pu sortir de la survie et souffler. Puis recommencer à penser à ma carrière. Mes grandes pièces restées à Kaboul ont été détruites par les talibans, mais heureusement j’ai pu récupérer les robes emportées par mes contacts étrangers. J’ai dû prendre une nouvelle direction et accepter de dire au revoir à mon projet de musée sur le matrimoine afghan…"
La force des liens
Rada Akbar se bat pour préserver la mémoire des femmes. Elle-même et son œuvre ont été sauvées grâce à des rencontres cruciales.
"Certaines personnes ont vraiment changé le cours de ma vie ces dernières années. Je crois que l’univers entier est basé sur des connexions humaines. Mon destin est passé de main en main jusqu’à aujourd’hui, ce qui me permet de continuer à me battre pour que les femmes de mon pays ne tombent jamais dans l’oubli."
Mes grandes pièces restées à Kaboul ont été détruites par les talibans. Rada Akbar
Aujourd’hui, l’artiste poursuit son travail artistique à travers différents projets autour de questions féministes. Elle conclut : "Pour moi le féminisme ce n’est pas un phénomène occidental ou oriental, mais c’est quelque chose de global. Le patriarcat est partout, et partout il faut le combattre."
Ses œuvres issues de son projet Abarzanan-Superwomen sont visibles dans l’exposition "L’étoffe des reines", prolongée jusqu’au 23 novembre au Château-Musée de Saumur, situé dans le Val de Loire, en France.
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