Cobalt, coltan, lithium, cuivre, nickel... Qui bénéficie des richesses des sous-sols africains ?
Par Mylène Girardeau et Niagalé Bagayoko
Cobalt, coltan, lithium, cuivre, nickel... Pourquoi les sous-sols africains sont-ils stratégiques pour l'avenir du continent et pour le reste du monde ? Décryptage avec Les Mots de la Paix.
Cobalt, coltan, lithium, cuivre, nickel... Pourquoi les sous-sols africains sont-ils stratégiques pour l'avenir du continent et pour le reste du monde ? Décryptage avec Les Mots de la Paix.
Ils sont devenus indispensables. De nombreux composants utilisés dans la fabrication de produits de notre quotidien - téléphones portables, appareils numériques, véhicules électriques, etc. - sont extraits du sous-sol africain. Plus de soixante types de minerais différents, soit un tiers des réserves mondiales, se trouvent en Afrique.
D'ici 2040, neuf millions de tonnes de cuivre supplémentaires seront requis chaque année pour répondre à la demande mondiale. La Zambie, qui abrite certains des gisements de cuivre les plus importants et de la meilleure qualité au monde, est consciente du rôle crucial qu'elle joue pour répondre à cette demande.
Hakainde Hichilema, président de la Zambie, en février 2024
Depuis quand exploite-t-on les minerais africains ?
L’exploitation des métaux est très ancienne en Afrique. Dans le bassin du Congo, le cuivre qu’on appelait la croisette était utilisé comme monnaie d’échange au XVIIIe siècle.
Mais l’histoire minière africaine est très liée à la colonisation du continent et au développement industriel dans les pays européens depuis le XIXe siècle.
La décolonisation a conduit à la nationalisation des mines. Mais au début des années 1990, les pays africains ont commencé à s’ouvrir aux entreprises étrangères.
L’extraction des minerais du sous-sol connaît une véritable explosion depuis le début du XXIe siècle, avec l’augmentation des prix sur les marchés internationaux.
Ces ressources font de l’Afrique une puissance énergétique, mais les revenus de leur exploitation et de leur consommation ne bénéficient pas principalement aux populations africaines.
Qu'est-ce qu'une « ressource du sous-sol » ?
Il s'agit de gisements souterrains qui fournissent des matières premières exploitées dans les activités humaines.
On distingue ainsi cinq catégories de ressources dont les sous-sols africains sont particulièrement riches :
- celles qui alimentent les industries ou fournissent des énergies telles les phosphates, le pétrole, le charbon, l’uranium ;
- les minerais de fer et non ferreux comme le manganèse, la bauxite ou le chrome ;
- les métaux de base tels que le cuivre, le nickel, le cobalt ;
- les matières précieuses, comme l'or, le platine, ou les diamants ;
- les minerais de la transition énergétique, comme le lithium ou le graphite.
Certaines de ces ressources sont considérées comme critiques, autrement dit stratégiques. Chaque pays ou chaque région détermine sa propre liste en fonction de 4 critères principaux :
- ils sont essentiels pour la sécurité nationale ;
- ils sont indispensables pour les technologies vertes et la transition vers une économie à faible émission carbone ;
- leur disponibilité est limitée, et leur approvisionnement est exposé à des risques logistiques et politiques ;
- on ne peut les remplacer par aucun substitut.
Où trouve-t-on la plupart de ces minerais critiques sur le continent ?
De nombreux pays africains disposent d’une position dominante sur de nombreux minerais considérés critiques.
L’Afrique du Sud est le premier producteur mondial de manganèse, de chrome et de platine, le troisième de titane. Elle dispose également de quantités importantes de cuivre.
Le Ghana est riche en lithium tout comme la Namibie, le Zimbabwe, le Mali et la République démocratique du Congo.
La RDC qui est aussi le premier producteur et exportateur mondial de cobalt. Elle fournit également plus de 10% de la production de cuivre : c’est le premier producteur du continent devant la Zambie.
Le Gabon, lui, occupe la deuxième place du podium mondial pour le manganèse.
Le Mozambique est deuxième quant à lui pour le titane et le graphite, dont Madagascar est le troisième producteur mondial.
Le sous-sol du Botswana est très riche en nickel et en cuivre.
Enfin la Guinée possède les plus grandes réserves mondiales de bauxite, qui sert principalement à fabriquer l’aluminium.
La RDC et le Rwanda sont les deux principaux exportateurs mondiaux de coltan. La guerre qui sévit dans l’est congolais, le manque de traçabilité et la contrebande soulèvent des interrogations sur l'éthique de l'origine du coltan exporté par le Rwanda, bien que Kigali nie toute accusation de pillage chez son voisin.
Depuis quand ces minerais critiques sont-ils devenus essentiels ?
Avec l’accélération de la transition énergétique et numérique, les besoins mondiaux en minerais critiques ont connu une croissance exponentielle ces dernières années.
Ils constituent des ressources indispensables pour la construction d’infrastructures comme les panneaux solaires et les éoliennes, mais aussi pour les véhicules électriques, le stockage de données, les écrans tactiles de nos téléphones et ordinateurs.
De 2017 à 2022, la demande a augmenté de 200 % pour le lithium, de 70 % pour le cobalt, et de 40 % pour le nickel. Et on attend une véritable explosion, avec une demande multipliée par 3,5 d’ici à 2030, et par 6 d’ici à 2040.
Qui exploite les métaux critiques en Afrique ?
Les principaux acteurs sont des multinationales européennes, nord-américaines et asiatiques, comme Glencore (Suisse), Rio Tinto (Royaume-Uni) ou la China Molybdenum (Chine).
Il existe aussi des champions nationaux en Afrique du Sud, au Zimbabwe et en RDC comme la Gecamines.
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« Les entreprises nationales ne parviennent pas à rivaliser avec les entreprises internationales ou multinationales » explique Harouna Kinda, chercheur associé à l'Université Mohammed VI Polytechnique.
Enfin une part importante de l’exploitation est aussi réalisée par des mineurs artisanaux, de manière informelle et dans des conditions précaires.
Pourquoi les minerais critiques sont-ils peu exploités par les États africains ?
Les besoins en infrastructures, en énergie, en capitaux humains et financiers sont colossaux. Or il est difficile pour les entreprises locales de se financer alors que les compagnies multinationales contractent plus facilement des prêts.
« Les entreprises nationales ne parviennent pas à rivaliser avec les entreprises internationales ou multinationales. Mais il faut noter qu'on trouve beaucoup d'actionnaires ou d'acteurs nationaux qui contribuent fortement à leur capital » souligne Harouna Kinda, chercheur associé à l'Université Mohammed VI Polytechnique.
On peut voir des entreprises comme la Gécamines, acteur historique dans l'exploitation du cuivre et du cobalt en RDC, travailler en partenariat avec des multinationales dans le pays.
Harouna Kinda, chercheur associé à l'Université Mohammed VI Polytechnique
« Les institutions financières internationales recommandent et appellent les pays riches en minerais critiques à mettre en place des codes miniers et des régimes fiscaux plus attrayants et plus transparents afin d’attirer le maximum d’entreprises étrangères et d’entreprises multinationales pour exploiter ces ressources et favoriser le financement du développement durable dans ces pays en développement, rappelle Harouna Kinda. On peut donc dire que les institutions financières internationales, qui sont les garantes souvent du financement du développement des pays riches en ressources minières, contribuent fortement à favoriser l’exploitation des minerais critiques par les entreprises multinationales au détriment des entreprises nationales. »
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« L'exploitation des ressources minières demande des coûts fixes importants. Il est très difficile pour les pays riches en ressources minières de contracter des prêts pour y faire face » souligne Harouna Kinda, chercheur associé à l'Université Mohammed VI Polytechnique.
Par ailleurs, l’extraction minière rapporte relativement peu, contrairement à la production de biens issus de ces minerais. Les bénéfices générés sont parfois détournés et ne sont pas équitablement partagés.
Le marché local n’est pas suffisant pour justifier la création d’unités d’exploitation et de transformation. Mais des initiatives sont en cours : la Guinée exige ainsi que les minerais soient au moins partiellement transformés sur son sol.
Enfin aucun pays africain ne possède, par exemple, à lui seul tous les minéraux nécessaires à la production de batteries.
Comment les États et les populations africaines peuvent-ils se réapproprier leurs ressources ?
Certains pays adaptent leurs codes miniers. Ils accélèrent les travaux d'exploration, limitent les exportations de matières premières brutes par les compagnies étrangères et favorisent ainsi l’émergence d’industries locales.
Leur défi : attirer des investisseurs pour construire des usines sur le continent et développer l’emploi. En Afrique, on compte seulement 2 millions d’emplois directs liés au secteur minier.
Par ailleurs, les États africains envisagent une mise en commun des approvisionnements pour développer des filières continentales de transformation des minerais critiques.
C’est sans aucun doute par la coopération que l’Afrique reprendra le contrôle de l’exploitation de ses sous-sols.
EN SAVOIR PLUS
Ressources institutionnelles
Guide pratique pour la prévention et la gestion des conflits liés à la terre et aux ressources naturelles, Industries extractives et conflits - Nations unies - 2012
Exploitation minière, métaux et minéraux - Statista
Le potentiel minier de l’Afrique : Panorama, enjeux et défis - AFD - 2024
Norme mondiale ITIE pour la bonne gestion des ressources pétrolières, gazières et minières - EITI - 2023
Métaux critiques pour la transition énergétique et développement durable en Afrique - Banque de France - octobre 2023
Rapports, ouvrages, articles académiques
Thierry Vircoulon, En Afrique, la course aux «métaux critiques» est lancée - IFRI - juillet 2024