COP30 à Belém: comment le Canada a "changé de cap" dans sa lutte contre les changements climatiques
Par Catherine François
Il y a 10 ans, lors des Accords de Paris, le premier ministre canadien Justin Trudeau, fraîchement élu, s’engageait à réduire, d’ici à 2030, les émissions de gaz à effet de serre du Canada de 40 à 45% par rapport au niveau de 2005. Dix ans plus tard, le Canada va-t-il atteindre cet objectif? Où en est le deuxième plus grand pays du monde dans sa lutte contre les changements climatiques? TV5MONDE a consulté trois spécialistes et le verdict est sans appel: le Canada obtient à peine la note de passable.
Il y a 10 ans, lors des Accords de Paris, le premier ministre canadien Justin Trudeau, fraîchement élu, s’engageait à réduire, d’ici à 2030, les émissions de gaz à effet de serre du Canada de 40 à 45% par rapport au niveau de 2005. Dix ans plus tard, le Canada va-t-il atteindre cet objectif? Où en est le deuxième plus grand pays du monde dans sa lutte contre les changements climatiques? TV5MONDE a consulté trois spécialistes et le verdict est sans appel: le Canada obtient à peine la note de passable.
Depuis 2015, le Canada a réussi à baisser ses gaz à effet de serre (GES) de 9% par rapport à 2005, mais entre 2023 et 2024, aucun progrès n’a été enregistré. C’est le bilan que fait l’Institut climatique du Canada dans son dernier rapport: "Les émissions de GES du Canada atteignaient 694 millions de tonnes (Mt) en 2023, soit le plus récent bilan disponible. Il s’agit d’une réduction de 65 Mt (8,5 %) par rapport à 2005 et d’une diminution de 6,0 Mt (0,9 %) par rapport à 2022. Le Canada est donc toujours très loin de sa cible pour 2030, soit un recul de 40 % à 45 % par rapport au niveau de 2005. Cela signifierait d’émettre de 419 Mt à 457 Mt".
Ross Linden-Fraser, analyste de l’Institut, confirme: "Le Canada a fait des progrès en réduisant ses émissions, mais il reste beaucoup de travail à faire et la cible du Canada pour réduire ses émissions d'ici 2030 est maintenant hors d'atteinte". Et le problème principal du Canada dans cette lutte pour réduire ses émissions de GES, c'est qu'il fait partie des cinq plus gros pays producteur de pétrole dans le monde.
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Dans son rapport, l’Institut révèle que le secteur pétrolier et gazier est le plus gros émetteur de GES au Canada: il a émis 208 millions de tonnes en 2023, soit 30%, devant le secteur des transports qui lui représente 23% des émissions de GES. Et les émissions causées par l’industrie pétrolière ont augmenté de 6,9% depuis 2005.
Le pétrole: l’épine dans la feuille d’érable
"L'enjeu canadien, c'est la très forte croissance de l'industrie pétrolière, et en particulier du pétrole issu des sables bitumineux de l’Alberta, ce qui explique la croissance des GES au Canada", explique à TV5MONDE Alain Webster, professeur en économie de l’environnement à l’Université de Sherbrooke et président du Comité consultatif sur les changements climatiques pour le Québec.
"En fait, le Canada ne s'est jamais donné comme objectif de ralentir sa croissance en matière de production. Dans la dernière décennie la production de pétrole canadien a augmenté de plus de 35%, c'est faramineux comme croissance, en matière de production pétrolière et par le fait même d'émissions de gaz à effet de serre".
Au cours des dix dernières années, d'un côté le Canada augmentait sa production de pétrole, de l’autre les gouvernements de Justin Trudeau mettaient en place des mesures pour obliger le secteur pétrolier à réduire ses émissions de GES et ils imposaient une taxe carbone aux particuliers et aux entreprises canadiennes, sauf au Québec, la province qui a une bourse de carbone en lien avec l’État de la Californie aux États-Unis.
Les gouvernements Trudeau ont tenté de mettre en place ces enjeux climatiques, mais en conservant quand même cette dualité particulière: d’un côté, on impose une tarification sur le carbone, de l’autre on investit plus de 30 milliards pour construire un nouvel oléoduc et accroître la production pétrolière.
Alain Webster, professeur en économie de l’environnement
Le virage pris par le nouveau premier ministre canadien
L’arrivée au pouvoir de Mark Carney, le nouveau premier ministre canadien, en avril dernier, a fait prendre un virage au gouvernement canadien dans sa lutte contre les changements climatiques. "Il y a vraiment un changement de cap actuellement", confirme Charles-Édouard Têtu, analyste chez Equiterre. "Sous l'ère de Justin Trudeau, on avait un gouvernement du Canada qui semblait vouloir mettre de l'avant des politiques climatiques et réduire son bilan carbone, encadrer les activités des plus grands pollueurs, donc l'industrie pétro gazière. Et maintenant, sous Mark Carney, on voit un gouvernement du Canada qui va réinvestir massivement dans ces industries".
L'une des premières mesures prises par Mark Carney a été de mettre fin à la taxe carbone pour les particuliers mise en place par Justin Trudeau, tout en maintenant celle imposée aux industries. Cette taxe est pourtant l'un de meilleurs moyens pour lutter contre les émissions de GES, souligne Alain Webster: "L’OCDE nous dit, dans son dernier rapport sur le Canada, que le Canada a été mal avisé d'annuler cette tarification sur le carbone et on devrait la remettre en vigueur parce qu'elle était équitable, positive pour les personnes à plus faible revenu et surtout parce qu’elle avait un impact favorable dans la lutte contre les changements climatiques".
Le nouveau premier ministre canadien a par la suite levé l'obligation, pour l'industrie automobile, de ne plus vendre de véhicules à essence à partir de 2035, il a également mis fin à la subvention de plusieurs milliers de dollars que recevait tout nouvel acquéreur d’un véhicule électrique. Des mesures qui mettent donc un frein à l’électrification du secteur canadien des transports. "Tous les indicateurs semblent pointer vers un ralentissement considérable de l'effort canadien en matière de lutte aux changements climatiques", conclut Alain Webster.
Vers une économie décarbonée
Pourtant, le spécialiste estime que le Canada n’aura pas d’autre choix au cours des prochaines années que de décarboniser son économie: "On sent le gouvernement canadien hésitant sur ce qu’il est capable de maintenir comme effort en matière de lutte contre les changements climatiques. Mais c'est néanmoins hyper fondamental: l'avenir du Canada ne peut passer que si le Canada devient réellement une puissance énergétique, mais du 21e siècle. On ne peut pas penser que le Canada va rester perpétuellement dans une stratégie où il empoche les dividendes de l'industrie pétrolière, ça ne perdurera pas parce qu'à l'échelle mondiale, on va réussir à passer dans une stratégie de transition climatique pour éviter que ces émissions de gaz à effet de serre aient trop d'impact sur le climat. Et donc forcément, la demande de pétrole va baisser et le Canada fait fausse route si on pense que son avenir économique est tributaire du développement de cette filière".
Alain Webster croit donc que le Canada ne peut pas rater le train du progrès: "Malgré tout le lobby qu'on voit à l'échelle canadienne, il faut réussir à inventer une économie du 21e siècle qui ne peut être, au Canada comme partout ailleurs, qu'une économie décarbonée. Ce n'est pas un souhait de militants écolo, c'est une réalité écologique, environnementale, économique et sociale fondamentale. Les coûts associés à l'inaction climatique sont tellement considérables, qu'inévitablement, malgré ce qu'on observe présentement, on doit et on va revenir vers une stratégie plus intense en matière de lutte contre les changements climatiques. Les États qui auront réussi à persévérer dans ce domaine seront les leaders de cette nouvelle économie".
"Ça laisse la chance à des pays comme la Chine"
Et dans cette course, c’est la Chine qui a pris les devants sur la scène mondiale au cours de la dernière décennie, tant au niveau de la production de véhicules électriques que du développement des énergies renouvelables (éoliennes, solaires, hydroélectricité). "Actuellement, on voit les reculs des États-Unis, et aussi du Canada qui emboîte le pas aux États-Unis, en réinvestissant dans les industries du passé sans jamais vouloir remettre en question notre modèle", fait remarquer Charles-Édouard Têtu, d’Équiterre.
"Et ça laisse la chance à des pays comme la Chine, qui eux, investissent massivement dans les énergies renouvelables, les technologies photovoltaïques, dans l'éolien, construisent des batteries, des voitures électriques. Ce sont ces pays qui vont attirer les investissements et qui vont en profiter pour créer un modèle qui est celui du futur, versus des pays comme le Canada, les États-Unis qui, eux, ne font que reculer. On se tire dans le pied actuellement, pas seulement aujourd'hui, mais pour les années à venir. Et on met un boulet dans les jambes des générations futures avec des décisions politiques de la sorte".
"On a l'impression qu'il ne se passe rien présentement sur la planète, mais ce n'est pas vrai, ajoute Alain Webster. Les Anglais viennent de se doter de cibles de plus de 80% de réduction de leurs GES. L'Union européenne met en place ses stratégies pour réduire de 90% ses GES en 2040. La simple symbolique qu'on vienne de fermer la dernière centrale thermique au charbon au Royaume-Uni, alors que c'est là qu'on a inventé la production d'énergie à partir de charbon, c’est une image forte".
"La réticence est forte, les lobbies sont hyper puissants"
Le Canada qui tente actuellement de multiplier ses partenaires commerciaux pour réduire sa dépendance aux États-Unis alors que la guerre commerciale fait rage entre les deux pays aurait tout intérêt à développer son économie vers une transition énergétique. "On sait que la plupart de nos partenaires commerciaux, l'Union européenne, la Chine, vont continuer leur transition vers l'électrification et la décarbonisation de leur industrie. Alors, pour rester compétitif et pour protéger les Canadiens, le Canada doit poursuivre la lutte contre les changements climatiques", croit Ross Linden-Fraser.
Alain Webster abonde: "Si on réussit à être un acteur crédible en matière de lutte au changement climatique, c'est aussi la diplomatie climatique qui est utile en matière de positionnement économique. Il faut espérer que le ralentissement actuel soit ponctuel et qu'on va revenir à une stratégie cohérente parce que les bénéfices de la lutte contre les changements climatiques sont trop grands et les conséquences d'une inaction en matière climatique sont trop graves. Ça sera difficile: la réticence est forte, les lobbies sont hyper puissants, il y a de forts vents de face. Mais fondamentalement, la raison humaine va avoir gain de cause, l'espèce humaine est assez intelligente pour se rendre compte qu'il y a aucun doute qu'on doit mettre en place des stratégies de décarbonisation. On ne peut pas voir la question climatique autrement que de façon optimiste. Nous allons gagner, ça va fonctionner. C’est essentiel, je pense qu'on va réussir".