"Mon coeur est à Lagos": Akinola Davies célèbre la sortie au Nigeria de son film primé à Cannes

Par AFP Par Leslie FAUVEL © 2025 AFP

"C'est un retour à la maison bien mérité": Akinola Davies, le réalisateur anglo-nigérian de L'Ombre de mon père (My Father's Shadow), premier film nigérian primé au festival de Cannes, savoure son retour à Lagos, la capitale culturelle du pays, à l'occasion de la sortie en salle de son film vendredi.
Ce premier long-métrage du réalisateur de 40 ans est un drame intime et familial qui raconte la journée d'un père (Sope Dirisu) et de ses deux jeunes fils (Godwin et Chibuike Egbo) arpentant Lagos en attendant de se faire payer ses arriérés de salaire, sur fond de tensions politiques et sociales dans le pays.
La journée en question est historique: il s'agit du 24 juin 1993, date à laquelle le président nigérian Ibrahim Badamasi Babangida a annulé le résultat de l'élection qui aurait mis fin à dix ans de régime militaire.
"J'espère qu'ils (les spectateurs nigérians) trouveront que c'est une représentation honnête de ce que signifie être Nigérian et du genre d'obstacles que la vie vous impose", confie Akinola Davies à l'AFP, premier cinéaste nigérian primé à Cannes, quelques heures avant la première du film jeudi soir.
Son frère aîné, Wale, qui a co-écrit le scénario du film, avait 11 ans au moment des événements et se souvient de l'annonce de l'annulation du scrutin.
"Tout le monde était très déçu, on avait l'impression que l'idée qu'un pays doit quelque chose à ses citoyens, cette sorte de contrat tacite, avait été rompue", explique le scénariste évoquant "un traumatisme de masse".
Wale Davies, qui s'est installé à l'adolescence en Irlande, vit désormais principalement à Lagos où il travaille dans l'industrie musicale, notamment comme manager de la chanteuse star Tems.

Le Nigeria, pays le plus peuplé du continent africain, est revenu à un gouvernement civil en 1999, mais les difficultés rencontrées par la famille du film font écho à l'actuelle situation du pays, qui connaît sa pire crise économique depuis trente ans depuis l'arrivée au pouvoir de Bola Tinubu il y a deux ans.
"Je pense qu'il y a beaucoup de similitudes avec ce qui se passe actuellement (...). Il existe toujours un désir et un espoir que le pays réalise son potentiel", commente Akinola Davies qui, bien que résidant à Londres, considère Lagos comme son "foyer spirituel".
Ce film "est aussi l'histoire de ma famille", raconte Segun Odunuge, ingénieur de 55 ans, après la première dans un cinéma de Lagos. Il se souvient avec acuité ce 24 juin 1993, "les gens qui se battaient" et les "voitures qui brûlaient".
Florence Imo, réalisatrice de 26 ans, n'était pas née au moment des faits mais L'ombre de mon père, qu'elle qualifie déjà d'"iconique", lui "a donné envie d'en savoir plus sur cette époque".
"Cousins bizarres"
Au Nigeria, Nollywood, la deuxième industrie cinématographique la plus prolifique au monde derrière la Bollywood indienne, cumule des millions de spectateurs, dans le pays mais aussi au-delà des frontières, notamment auprès de la diaspora.
L'esthétique très léchée du film récompensé par la Mention spéciale Caméra d'Or à Cannes cette année détonne toutefois avec les productions habituelles et a conquis Nicolette Ndigwe, réalisatrice de 33 ans: "au Nigeria, par crainte de ne pas trouver de marché pour les films d'art et d'essai, nous avons tendance à nous orienter vers des productions très commerciales", explique celle qui a trouvé le film "très artistique".
Les frères Davies revendiquent leur appartenance à Nollywood avec "90% des personnes du film qui travaillent à Nollywood, ont grandi et appris avec Nollywood".
"Je pense que nous sommes comme ces cousins bizarres que vous avez dans un coin de la pièce et qui racontent des histoires différentes, qui ont une perspective et une expérience différentes", confie Wale Davies.
"Nous sommes tous faits du même bois, et le Nigeria possède une riche histoire de conteurs, de cinéastes et d'écrivains et c'est un honneur d'être mentionnés au même titre qu'eux", ajoute-t-il.
Après les festivals de Cannes, de Toronto et de Sydney, le film poursuivra sa route à travers d'autres grands rendez-vous cinématographiques en Asie, à Londres, au Brésil et à Marrakesh.
Quant à une sélection aux prestigieux Oscars, "ça serait un rêve, mais je pense que le film a déjà accompli ce que je voulais", commente le réalisateur.
Akinola et Wale Davies, qui ont "cinq ou six projets en tête", ne dissocient pas leur avenir professionnel et artistique du Nigeria.
"L'avenir consiste à continuer à produire au Nigeria des œuvres qui, espérons-le, pourront se hisser sur la scène internationale et raconter des histoires 100% nigérianes", espère Akinola dont le "coeur est à Lagos".
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