Présidentielle au Cameroun: des inquiétudes chez les pays voisins face aux risques de crise post-électorale

Par Christian Eboulé


Depuis l'instauration du multipartisme en 1990 par le président sortant Paul Biya, jamais une élection présidentielle n'avait présentée des enjeux aussi importants pour le Cameroun, mais également pour les pays de la sous-région. Les inquiétudes sont réelles pour Congo, le Tchad ou encore pour la Centrafrique, comme l'expliquent plusieurs journalistes à TV5MONDE.

Depuis l'instauration du multipartisme en 1990 par le président sortant Paul Biya, jamais une élection présidentielle n'avait présentée des enjeux aussi importants pour le Cameroun, mais également pour les pays de la sous-région. Les inquiétudes sont réelles pour Congo, le Tchad ou encore pour la Centrafrique, comme l'expliquent plusieurs journalistes à TV5MONDE.
Le malaise grandit autour de la succession de Paul Biya, âgé de 92 ans, dont 42 passées au pouvoir. Le président camerounais brigue un huitième mandat consécutif. Les tensions politiques se sont accrues avec l'invalidation début août par le Conseil constitutionnel, de la candidature du principal opposant, Maurice Kamto. À cela, il faut ajouter les conflits armés auxquels le pays est actuellement confronté. Tout ceci fait évidemment craindre une crise post-électorale.
Comme en 2018, la guerre contre les séparatistes dans les régions anglophones du Nord-ouest et du Sud-ouest représente un obstacle majeur à la tenue d'élections libres et transparentes. Ce conflit, né du sentiment d'exclusion des populations anglophones des systèmes juridiques et éducatifs locaux, dure depuis fin 2016, a fait des milliers de morts et paralyse la vie de ces régions.
Lors du précédent scrutin, les séparatistes anglophones avaient en effet appelé au boycott de la présidentielle, tout en imposant une sorte de confinement par la terreur à une vaste majorité des populations. Le taux de participation local avait été estimé à 9%, contre 54% à l'échelle nationale. Avant le déclenchement du conflit, les deux régions anglophones représentaient près de 15% du corps électoral.
La sécurité du scrutin assurée dans toutes les régions?
Dans l'extrême-nord du Cameroun, c'est la reprise ces dernières semaines des attaques terroristes de Boko Haram qui inquiète le plus. Avec plus de 1,2 millions d'électeurs inscrits, d’après les chiffres d'ELECAM (Elections Cameroon), cette région reste un bastion électoral important pour le parti au pouvoir, le RDPC – Rassemblement du peuple camerounais.
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D'où les préoccupations à la fois sur le déroulement du scrutin dans des conditions d’équité, de sécurité et de transparence nécessaires, mais aussi concernant les risques de troubles graves en cas de contestation des résultats. D'ailleurs, comme c’est le cas pour toutes les élections présidentielles depuis 1992, beaucoup s’attendent à une victoire de Paul Biya, avec à la clé des contestations des principaux partis d’opposition.
Des liens anciens et vitaux avec le Tchad
Ces appréhensions ne concernent pas seulement le Cameroun, mais l'ensemble des pays d'Afrique centrale. Il est vrai qu'au sein de la CEMAC, la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (République du Congo, Gabon, Tchad, République centrafricaine et Cameroun), le pays est considéré comme la locomotive économique.
Selon les chiffres du FMI, l’économie camerounaise représentait 45% du PIB de la CEMAC en 2021. Cette dernière est aussi la plus importante et la plus diversifiée de la région.
Et malgré un taux de croissance du PIB de seulement 3% en 2024, le Baromètre économique de la CEMAC, publié en juin dernier par la Banque mondiale, nous apprend que "le Cameroun et le Tchad ont affiché les meilleures performances de croissance, tirées respectivement par l'augmentation des exportations de cacao et de coton et par l'expansion du secteur non pétrolier".
En raison justement des liens anciens et vitaux qu'entretiennent le Tchad et le Cameroun, nombre d'observateurs tchadiens scrutent avec attention la situation politique de leur grand voisin. La façade atlantique camerounaise constitue en effet la principale porte d’entrée des importations destinées au Tchad et à la République centrafricaine.
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Près de 90% des importations et des exportations tchadiennes passent par le port de Douala. "La stabilité intérieure du Cameroun et celle du Tchad sont intrinsèquement liées. Autant le port de Douala est d'une importance vitale pour l’économie camerounaise, autant il l'est pour l’économie tchadienne", confie à TV5MONDE le journaliste tchadien, Eric Topona, en poste au programme francophone de la Deutsche Welle, en Allemagne.
Le Cameroun et le Tchad partagent également les mêmes préoccupations sécuritaires pour leurs frontières communes. "Les deux pays font face aux menées déstabilisatrices des terroristes djihadistes de Boko Haram, et celles plus récentes du JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), qui rêvent d'instaurer un califat en Afrique centrale", précise Eric Topona.
La fragilité congolaise
Cependant, il n'y a pas qu'au Tchad que l'on "retient son souffle". Il en est de même au Congo Brazzaville, pays marqué par la guerre et l'instabilité politique durant les années 1990.
Et si les relations sont longtemps restées glaciales entre les deux pays, du fait du soutien apporté par Brazzaville à l'Armée nationale de libération du Kamerun (ANLK), la branche armée de l’Union des populations du Cameroun (UPC) – parti indépendantiste auquel la France coloniale et les autorités camerounaises, après l’indépendance en 1960, vont déclarer la guerre entre 1955 et 1971 –, elles se sont nettement renforcées depuis le début des années 2000.
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Dans le cadre de l'intégration économique régionale, Yaoundé et Brazzaville, les capitales des deux pays, sont reliées par une route bitumée depuis décembre 2021. Un axe routier indispensable, en particulier pour le commerce des denrées alimentaires exportées du Cameroun vers le Congo.
Le commerce entre les deux pays est vital. Avec des camions qui transportent les denrées alimentaires telles que les haricots, les oignons, les arachides et autres produits alimentaires qui arrivent régulièrement au marché Total de Brazzaville.
Alphone Ndongo, ancien journaliste pour Jeune Afrique Economie.
Le Baromètre économique de la CEMAC paru en juin dernier précise que "le ratio de la dette publique sur le PIB de la région reste élevé, en particulier au Congo et au Gabon où il se situe au-dessus du critère de convergence de la CEMAC fixé à 70 % du PIB". Les deux pays connaissent donc actuellement un niveau de dette très élevé.
"Une issue désastreuse de la présidentielle camerounaise pourrait avoir des conséquences considérables sur la stabilité régionale, et celle du Congo en particulier", ajoute Alphonse Ndongo.
Le précédent gabonais
Autre pays confronté à une stabilité politique précaire, tant il a été secoué par des crises politiques et la guerre civile ces dernières années: la République centrafricaine. Alors que le pays prépare actuellement des élections générales prévues pour le 28 décembre prochain, les autorités gardent un œil sur la situation camerounaise.
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D'ailleurs, le 12 septembre dernier, le Cameroun et la Centrafrique ont signé une nouvelle convention de partenariat de défense. Celle-ci vise à renforcer la sécurité le long des 800 kilomètres de frontières que partagent les deux pays. Comme au Cameroun, le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, doit faire face à une constellation de groupes armés.
Et malgré l’entrée en vigueur en juillet dernier d'un accord de paix avec deux de ces groupes, l'Union pour la paix en Centrafrique (UPC) et Retour, Réclamation et Réhabilitation (3R), la situation reste fragile dans l'ensemble. D'ailleurs, les autorités de Bangui négocient avec d'autres mouvements rebelles ayant exprimé la volonté de revenir à l'accord politique pour la paix et la réconciliation, signé en 2019, à Khartoum, au Soudan, entre le régime de Bangui et 14 groupes armés.
À ce contexte politique, il faut ajouter une situation économique très délicate, malgré une croissance pour l’année en cours estimée à 2,1% selon la Banque mondiale. Le pays est régulièrement confronté à des pénuries chroniques de carburant ou encore d’électricité, qui freinent la reprise économique.
La République centrafricaine se classe en effet parmi les derniers pays à l'indice du capital humain et à l'indice du développement humain. "Il faut rappeler que la RCA importe l'essentiel de ses biens via le Cameroun. Si bien que les tensions actuelles font craindre un scrutin marqué par la contestation et, éventuellement, des violences avant ou après l’annonce des résultats", a confié à TV5MONDE le journaliste centrafricain, Vianney Ingasso.
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S'agissant du Gabon, les deux pays entretiennent des relations très étroites depuis leurs indépendances respectives en 1960. La sécurité, le développement économique ou encore la gestion des ressources naturelles sont quelques-uns des domaines de la coopération camerouno-gabonaise.
Mais si les Gabonais suivent avec attention ce qui se passe au Cameroun, c’est surtout parce que la situation leur rappelle la fin du régime d’Omar Bongo, resté près de 42 ans au pouvoir et décédé en 2009. "Nous avons vécu à peu près la même chose. Une espèce de fin de règne avec Omar Bongo qui était très malade", nous rappelle Yves-Laurent Goma, correspondant de TV5MONDE à Libreville.
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