Diplomatie : le ministère français des Affaires étrangères tente d'améliorer sa visibilité

Un événement sans précédent est organisé sur deux jours par le ministère français des Affaires étrangères. Il vise à lever le voile sur ce qu'est la diplomatie et à remédier à ce qui est considéré comme un déficit d'image.

Cette déconnexion entre la diplomatie et le grand public affecte la plupart des sociétés démocratiques et peut avoir de graves ramifications, expliquent des experts à Euronews.

"Il y a effectivement un problème de perception de ce qu'est le métier de diplomate et ce à quoi il sert", dit Claude-France Arnould, ancienne ambassadrice de France en Belgique et chercheuse en défense à l'Institut de géopolitique de Bruxelles.

Cela s'explique notamment par les nombreux clichés qui collent à la profession.

Dans l'imaginaire collectif, la vie d'un diplomate est faite de réceptions somptueuses où les petits fours sont accompagnés de flûtes de champagne. C'est le genre de vie dépeint dans la série "The Diplomat" de Netflix, qui a suscité de nombreuses critiques de la part de vrais diplomates.

La réalité, cependant, est bien moins glamour.

"C'est à la fois un métier d'administrateur, un métier de gestionnaire de dossiers, et c'est un métier aussi d'intervention dans les crises, mais aussi de promotion de l'économie, de promotion des entreprises, de promotion de la culture, de la langue", explique à Euronews Christian Lequesne, professeur de sciences politiques à Sciences Po.

Les nombreux stéréotypes ont été difficiles à dissiper, précisément parce que les tâches sont variées, mais aussi parce que les diplomates travaillent traditionnellement dans les coulisses, voire dans le secret.

Pas de tabous

Aujourd'hui, avec le retour de la guerre sur le sol européen, un conflit dévastateur au Moyen-Orient, une politique étrangère de plus en plus axée sur le dialogue entre Washington et la Chine, des attaques plus régulières contre la légitimité des organisations multilatérales et une crise climatique mondiale insoluble, les diplomates considèrent que leur profession est plus nécessaire que jamais.

Une opinion publique apparemment ambivalente n'arrange rien.

C'est là qu'intervient La Fabrique de la Diplomatie. Cet événement de deux jours, qui a débuté vendredi à Paris, vise à rectifier ce déficit d'image avec un programme chargé de discours, de tables rondes, de jeux et d'ateliers.

L'invasion russe de l'Ukraine, le conflit opposant Israël au Hamas, la position de la France vis-à-vis de la Chine, de la Syrie, de l'Iran, de l'Afrique ou encore des États-Unis seront tous abordés. Mais certains événements chercheront aussi à décomposer le fonctionnement des grandes organisations multilatérales comme les Nations unies ou l'Union européenne. Des discussions sur la justice internationale, la diplomatie culturelle ou féministe, le soft power et même la diplomatie par le fromage, sont également au programme.

Des personnalités de premier plan, telles que Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, seront présentes. Mais l'un des événements qui devrait être particulièrement populaire est un exercice de speed-dating avec les ambassadeurs en poste, au cours duquel les participants pourront leur poser toutes les questions qu'ils souhaitent autour d'un café.

"C'est clair que dans le contexte actuel, qui est particulièrement anxiogène à tout point de vue, notamment pour les jeunes, La Fabrique de la Diplomatie a été d'abord et avant tout conçue comme un exercice de pédagogie, avec la volonté d’expliquer les grands enjeux géopolitiques", a déclaré à Euronews Didier Le Bret, directeur de l'Académie diplomatique et consulaire au ministère français des Affaires étrangères et cerveau de l'événement.

"On y est allé franchement sans aucun tabou sur les thèmes abordés. On a volontairement pris tous les thèmes qui préoccupent les Français", a-t-il ajouté.

Mais il y a au moins deux autres objectifs.

Le premier est de faire comprendre que la diplomatie ne se limite pas aux plus hautes sphères de la politique mondiale et que la culture, le monde des affaires et l'université jouent également un rôle très important dans le renforcement du "soft power". Il s'agit aussi de rappeler que le rôle des diplomates s'étend à l'assistance et à la protection des citoyens de leur pays, où qu'ils se trouvent - la France possède le troisième réseau diplomatique au monde, après la Chine et les États-Unis, avec quelque 160 ambassades.

L'autre objectif est de "tisser un lien" avec les citoyens, explique Didier Le Bret.

"Les Français, accessoirement, vont réaliser qu'avec moins de 1% du budget de la nation, on fait beaucoup, beaucoup, de choses", a-t-il ajouté. "On s'aperçoit qu'un euro investi au quai d'Orsay, c'est beaucoup plus d'euros qui reviennent ensuite dans la poche des Français à travers les succès économiques qu'on peut avoir. C'est aussi ça qu' on va essayer de montrer".

Un message d'autant plus important pour le ministère français des Affaires étrangères que son budget a été réduit en 2025.

L'impact des hommes politiques sur la diplomatie

Les organisateurs de La Fabrique de la Diplomatie attendent au moins 20 000 à 30 000 personnes sur les deux jours. L'enthousiasme peut en partie être attribué au climat général d'anxiété, a suggéré Claude-France Arnould.

"Je crois que c'est beaucoup plus difficile de comprendre la diplomatie quand tout va bien. Et je pense qu'on comprend, encore une fois, beaucoup mieux la diplomatie dans les moments de grandes crises stratégiques comme ce qu'on voit aujourd'hui", a-t-elle déclaré.

Gagner l'opinion publique pourrait toutefois ne pas suffire, a-t-elle ajouté. Le problème est que la diplomatie souffre également d'une défiance croissante de la part de certains responsables politiques de haut niveau, le président américain Donald Trump en étant le premier exemple.

Un constat partagé par Christian Lequesne de Sciences Po, pour qui l'émergence de "modes de gouvernance populistes" est à blâmer.

Des dirigeants comme Trump, mais aussi l'ancien président brésilien Jair Bolsonaro ou le Premier ministre hongrois Viktor Orban, dit-il, "nous disent essentiellement que ce sont eux qui mènent la diplomatie, et ils le font au plus haut niveau sans l'aide des diplomates".

"Très souvent les leaders populistes n'aiment pas les professionnels de la diplomatie parce qu'ils considèrent que ce sont des experts rationnels alors que eux préfèrent dans le fond le mode un peu du rapport de force émotionnel", a-t-il ajouté.

Pour ses organisateurs, La Fabrique de la Diplomatie n'est pas un événement unique, mais s'inscrit dans une série d'initiatives visant à améliorer l'image du service diplomatique.

Tout d'abord, le ministère lui-même ouvre désormais ses portes aux visiteurs. D'autre part, les monuments et bâtiments liés à des échecs ou à des succès diplomatiques recevront un label spécial. Enfin, une centaine d'ambassadeurs ont été invités à retourner dans leur lycée dans les mois à venir pour échanger avec les jeunes.