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Rentrer ou rester : le dilemme des Syriens installés en Europe

Europe • Sep 12, 2025, 1:45 PM
12 min de lecture
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Ahmad Alhamada nous reçoit dans son appartement à Gand, en Belgique. Une théière fumante, des tranches de pastèque et des noix de cajou sont disposées sur la table basse. Originaire d'Idlib dans le nord-ouest de la Syrie, il a fui le pays en 2012 suite à la répression des manifestations contre le régime. La chute de Bachar-al Assad le 8 décembre 2024 rebat les cartes. Le trentenaire envisage de retourner en Syrie pour contribuer à la reconstruction du pays.

D'autres ont déjà passé le pas. Près de 720 000 Syriens sont retournés en Syrie entre le 8 décembre 2024 et le 24 juillet 2025 selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Parmi eux, 40% sont rentrés depuis le Liban, 37% depuis la Turquie, 15% depuis la Jordanie et 5% depuis l'Irak. Les volontés de retour sont moindres en Europe. 81% des réfugiés et demandeurs d'asile syriens installés en Europe interrogés en mai n'avaient pas l'intention de retourner en Syrie dans les douze prochains mois, selon un sondage du HCR. 159 Syriens sont retournés volontairement en Syrie à partir de la Belgique depuis le premier janvier 2025, selon l'Agence fédérale belge pour l'accueil des demandeurs d'asile (Fedasil). L'agence gère les programmes de retour volontaire depuis la Belgique jusqu'aux pays d'origine pour tout migrant, qu'il soit demandeur d'asile, demandeur débouté ou sans permis de séjour. Ces programmes comprennent les frais de transport et une assistance au voyage. Pour certains migrants, ils peuvent également inclure une prime de départ et un soutien à la réintégration dans le pays d'origine pouvant servir à développer un micro-business, louer ou rénover une habitation ou encore rembourser des frais médicaux. Si ces projets de réintégration n'existent pas encore pour les Syriens, ils sont actuellement en cours de préparation par la Fedasil.

Reconstruction du pays

Ahmad envisage de retourner en Syrie d'ici deux ou trois ans pour contribuer à la reconstruction du pays, si la situation le permet. "Il y a beaucoup de choses à faire. Le pays a de nombreux besoins. J’ai une bonne vie ici (...) mais je pense que le pays a vraiment besoin d'être soutenu", assure-t-il. La priorité selon lui est le désarmement des milices et l'unité du pays. Une fois ces conditions remplies, "nous pourrons retourner et reconstruire le pays et ramener la Syrie au monde", estime-t-il. Si son projet n'est pas encore concrétisé, il aimerait notamment promouvoir la démocratie en Syrie via son association, le Centre démocratique pour les droits de l'Homme (DCHR). Il ajoute que les Syriens établis en Europe ont également un rôle d'intermédiaire à jouer dans la reconstruction de leur pays : "Nous pouvons aider les entreprises européennes à trouver des opportunités en Syrie. Et nous pouvons aussi aider le gouvernement syrien à attirer des entreprises pour y investir", assure-t-il.

Ahmad étudiait à l'université de Damas pour devenir ingénieur, lorsque les manifestations anti régime débutent en 2011. Il co-fonde le "mouvement libéral étudiant" et participe aux manifestations contre Bachar al-Assad, qu'il n'hésite pas à traiter de "dictateur" : "le pays était comme une prison, vous ne pouviez pas parler, vous ne pouviez pas avoir d’opinion et si vous le faisiez, vous étiez tué", affirme-t-il. Expulsé de l'université, il est arrêté et emprisonné pendant trois mois à la tristement célèbre prison de Saidnaya, au nord de Damas, où il subit des simulacres d'exécution et la torture à l'électricité, avant d'être acquitté par un tribunal et libéré, pour selon lui faire de la place pour d'autres prisonniers. Il fuit alors la Syrie avec ses parents et frères et soeurs et s'installe au Liban pour rester à proximité de son pays. Il y reste trois ans, ouvre une petite boutique sous un prête-nom libanais et contribue à l'ouverture d'écoles pour les enfants syriens. Le Liban est le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés par habitant au monde. Le gouvernement libanais estime qu'environ 1,4 millions de Syriens sont déplacés au Liban, dont plus de 700 000 sont enregistrés comme réfugiés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Face à la dégradation des conditions de vie et les menaces du Hezbollah, Ahmad décide de quitter le Liban. "Le Liban est devenu plus dangereux pour les Syriens qui sont anti-Assad et anti-Iran et anti-Hezbollah dans la région. Donc nous étions aussi une cible pour le Hezbollah, ma famille également", affirme Ahmad. Il embarque dans un bateau en Turquie, traverse la Méditerranée jusqu'en Grèce puis gagne l'Allemagne via la Macédoine du Nord, la Serbie, la Hongrie et l'Autriche. Le chauffeur de taxi qui leur fait traverser lui et ses deux amis la frontière entre la Serbie et la Hongrie les menace au couteau dans une forêt pour tenter de leur extorquer 2 000 euros, affirme-t-il. Après un périple total de deux semaines, il arrive finalement en Belgique, à la gare du Nord de Bruxelles, en 2016. Il travaille aujourd'hui dans le secteur informatique d'une administration publique et a obtenu la double citoyenneté belge et syrienne. Il a également fondé une petite association, le Centre démocratique pour les droits de l'Homme (DCHR) et a été élu président d'une association représentant la communauté syrienne en Belgique.

À son réveil le 8 décembre 2024, Ahmad découvre à moitié endormi en regardant son téléphone que Bachar al-Assad a pris la fuite durant la nuit. "C'était un grand jour", se remémore-t-il. Il célèbre toute la journée dans les rues de Bruxelles avec la communauté syrienne et embarque trois jours plus tard dans un avion pour Amman, la capitale de la Jordanie. De là il prend un taxi jusqu'à la frontière syrienne qu'il traverse à pied. Les photos de la famille el-Assad, habituellement affichées au poste-frontière syrien, ont disparu. "Il y avait seulement le drapeau syrien, c'est plus que suffisant", se réjouit Ahmad. Le poste-frontière est à présent tenu par des soldats de l'Armée syrienne libre. Il leur tombe dans les bras et pleure à leurs côtés. "C’était un moment très émouvant", se souvient-il. Il se rend d'abord à son université à Damas. "J’ai été expulsé et maintenant je suis de retour et Bachar al-Assad est parti. Donc pour moi, c'est une sorte de justice et de karma", se réjouit-il. Puis il se rend à Homs, Hama, Idlib et Alep : "Je devais embrasser chaque ville et marcher dans les rues, parler avec les gens", dit-il. Il décrit des villes en ruines, des femmes à la recherche de leurs proches leurs photos à la main, mais également des scènes de liesses populaires. Il rejoint des membres de sa famille à Idlib où il découvre sa maison détruite, comme une bonne partie de la ville, qu'il prévoit de reconstruire.

Rester en Europe

Aisha Abbas, 27 ans, habite à Anvers, en Belgique depuis 2017. Elle est originaire de Darkoush, une petite ville près d'Idlib dans le nord-ouest de la Syrie à la frontière turco-syrienne. Le régime de Bachar al-Assad tombe début décembre 2024, renversé par une offensive de rebelles menée par l'organisation Hayat Tahrir al-Cham. "Je n’y croyais pas. Ça ressemblait à un rêve", se remémore Aisha qui affirme ne pas avoir dormi pendant deux jours, accrochée à l'actualité. Elle regrette que son père, qui "a vécu toute sa vie pour ce moment", n'ait pas vécu assez longtemps pour y assister. Sa première pensée est qu'elle pourra enfin revoir le pays où elle est née. "Je veux voir les rues, je veux voir le visage des gens, je veux voir comment ils vivent", dit-elle. Mais elle écarte tout retour définitif au pays, en premier lieu à cause de l'insécurité. "Comment vous attendez-vous à ce qu’un endroit en guerre depuis 14 ans soit sûr pour les gens ? (...) c'est un champs de bataille", déclare-t-elle, "la chute du gouvernement ne va pas tout réparer comme une baguette magique". Elle ne saurait pour commencer même pas où aller. "Je n’ai pas de maison. Je ne sais pas si je pourrai travailler ou si je pourrai avoir une vie. Je n’aurais pas d’amis. La moitié de ma famille est morte. J’ai même peur à l’idée de visiter la Syrie et de voir les lieux, mais il ne reste plus personne", explique-t-elle. Tout recommencer à zéro pour la troisième fois après avoir déjà tout perdu la décourage également au retour. Elle aspire à faire sa vie en Belgique à Anvers, qui est "assez internationale" ou à Gand, "une ville très calme".

En 2011, le père d'Aisha participe aux manifestations contre le régime de Bachar al-Assad qui seront violemment réprimées par le pouvoir. "Nous n'étions pas en sécurité car il était une personne importante dans la révolution", explique Aisha. En juin de cette année-là, Aisha, âgée de 13 ans, ses trois petits frères et sa mère fuient donc la Syrie et se réfugient chez sa tante, sur l'autre rive du fleuve Oronte, à Antioche en Turquie. "Je n'ai même pas fait de sacs", se rappelle-t-elle, "je pensais que je serais de retour en septembre pour la rentrée des classes". Elle reprend finalement les cours dans une "école" ouverte par la communauté syrienne dans un appartement. "J’ai été vraiment déprimée pendant un an, jusqu’à ce que je réalise que nous avions une vie ici et que nous devions y travailler et construire une nouvelle communauté pour nous faire de nouveaux amis", explique Aisha. Sa mère ouvre un petit atelier qui permet aux femmes de fabriquer et de vendre leurs conceptions telles que des robes, des créations en crochet ou de l'artisanat. La famille reste en Turquie sept ans.

Le père d'Aisha rejoint finalement l'Europe en traversant la mer Méditerranée en bateau depuis Mersin en Turquie jusqu'en Grèce, avant de gagner Anvers où sa famille le rejoint en avion grâce à la réunification familiale. "La vie en Turquie était vraiment difficile pour nous et elle ne s’améliorait pas. C'était de pire en pire", explique l'étudiante, "il pensait que l'Europe serait peut-être meilleure pour l'école et le travail". La famille de six vit dans un studio avant de parvenir à louer un appartement à la campagne. "En Belgique, c’était très différent parce que je me sentais différente dans ma façon de m’habiller, dans la façon dont je parle. Je ne parlais pas néerlandais, je parlais anglais tout le temps. Je sentais que j’étais différente et c’était vraiment difficile", se remémore Aisha. Déjà trilingue - elle parle couramment arabe, turc et anglais - elle apprend facilement le néerlandais et obtient une licence en marketing et en communication. Pour financer ses études, elle travaille dans un magasin bio zéro déchet et donne des cours de céramique. L'étudiante commence à la rentrée un bachelor en communication et aspire à travailler dans le marketing ou le journalisme. N'ayant pas obtenu le statut de réfugiée, elle doit renouveler chaque année son titre de séjour et essaie d'acquérir la nationalité belge.

Plus de 6 millions de Syriens étaient réfugiés ou demandeurs d'asile fin 2024, principalement en Turquie, au Liban et en Jordanie. De son côté l'UE compte environ 1,3 million de réfugiés ou demandeurs d'asile syriens, principalement en Allemagne, en Suède et en Autriche. Dès le lendemain de la fuite de Bachar al-Assad, des pays européens, dont l'Allemagne, le Danemark et l'Autriche, ont annoncé vouloir suspendre l'examen des demandes d'asile déposées par des Syriens. Cette année, les Syriens ont déposé moins de demandes d'asile dans des pays de l'UE, selon des chiffres de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile (AUEA) publiés le 8 septembre. Ils ne représentent plus la première nationalité des demandeurs d'asile dans l'UE, devancés par les Vénézuéliens et les Afghans. Toutefois certaines catégories de Syriens font toujours face à des risques de persécution, prévient l'agence.


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