Afghanistan : des milliers de rapatriés menacés par la réduction de l'aide humanitaire, selon l'ONU

Les coupes massives dans l'aide étrangère menacent la capacité des Nations Unies à soutenir les centaines de milliers d'Afghans vulnérables qui retournent dans leur pays, alors que l'aide humanitaire est déjà mise à rude épreuve par un récent séisme meurtrier.
C'est le message d'alerte que la cheffe de mission de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour l'Afghanistan, Mihyung Park, a adressé à Euronews dans un entretien exclusif.
Augmentation des expulsions en Iran et au Pakistan
Environ 2 millions de ressortissants afghans sont rentrés dans leur pays depuis l'Iran et le Pakistan voisins rien que cette année. Au plus fort de la crise, au mois de juillet, 40 000 d'entre eux franchissaient la frontière chaque jour.
Si certains d'entre eux rentrent volontairement, beaucoup sont expulsées de force.
Le Pakistan a récemment accéléré les expulsions des étrangers en situation irrégulière et demandé aux ressortissants afghans détenteurs d'une carte de preuve d'enregistrement (PoR) de quitter le pays avant le 1er septembre.
De nombreux Afghans, y compris des réfugiés, ont par ailleurs renvoyés de force d'Iran, avec une augmentation des expulsions à la suite de la guerre de douze jours entre l'Iran et Israël.
Pour justifier cette mesure, Téhéran a invoqué des raisons de sécurité nationale et lancé des accusations généralisées liant les Afghans en Iran aux services de renseignement israéliens.
De nombreux rapatriés afghans reviennent dans le dénuement et ont désespérément besoin d'un abri, d'une assistance économique et d'une aide pour reconstruire leur vie.
"Ils reviennent dans une sorte de nouveau pays. Ils ne savent pas comment naviguer dans le système, ni quelles sont les conditions", explique Mihyung Park. "Beaucoup de ces personnes n'ont pas de papiers et même si elles ont des papiers à la frontière, ils sont souvent confisqués".
La cheffe de mission de l'OIM pour l'Afghanistan explique que les rapatriés ont plusieurs besoins fondamentaux, notamment de l'argent, un abri et l'accès à des opportunités économiques.
"Beaucoup de gens veulent rester. Ils veulent s'installer dans le pays et voir comment ils peuvent s'en sortir", dit-elle. "Mais au bout d'un certain temps, ils sont confrontés au manque de moyens de subsistance et n'ont plus de maison".
Seules 20 à 30 % des personnes vulnérables reçoivent une aide
Les coupes drastiques opérées par les gouvernements occidentaux dans l'aide humanitaire et l'aide au développement - notamment la décision du président américain Donald Trump de geler l'aide étrangère de son administration en février - mettent à mal les opérations d'aide dans le monde entier, et l'impact se fait particulièrement sentir en Afghanistan.
On estime que 1,7 milliard de dollars (1,5 milliard d'euros) d'aide américaine à l'Afghanistan a été supprimé cette année, ce qui a contraint une cinquantaine d'organisations ou d'agences d'aide internationale à suspendre partiellement ou totalement leurs opérations.
Les Nations unies ont déjà prévenu que la suppression de ce financement pourrait constituer une "condamnation à mort" pour des millions de personnes.
"Cela a vraiment eu un impact sur notre travail - pas seulement sur l'OIM, mais sur toutes les agences humanitaires opérant dans le pays - d'une manière assez sérieuse", déclare Mihyung Park à Euronews.
"Nous avons dû prendre des décisions difficiles pour réduire nos priorités [...] et ce, avant même le tremblement de terre et les retours massifs que nous n'avions pas prévus de la part de l'Iran et du Pakistan".
L'agence a établi neuf "critères de vulnérabilité" afin de diriger les fonds vers ceux qui en ont le plus besoin, tout en reconnaissant que la majorité des personnes qui reviennent sont vulnérables et ont besoin d'aide.
"Lorsque, en 2023, environ un million de personnes sont rentrées du Pakistan, nous avons pu apporter une aide immédiate à presque tout le monde. Aujourd'hui, nous pouvons à peine aider 20 à 30 % des personnes qui répondent aux critères de vulnérabilité", indique la cheffe de mission.
Urgence humanitaire après le tremblement de terre
Le violent séisme qui a frappé il y deux semaines la frontière orientale de l'Afghanistan, tuant plus de 2 200 personnes, a également aggravé les besoins urgents, et les Nations unies ont récemment averti que certaines zones touchées n'avaient pas encore été atteintes.
L'ONU a lancé un appel d'urgence de près de 140 millions de dollars (119 millions d'euros) pour venir en aide à près d'un demi-million de personnes touchées.
"Nous avons dû nous serrer la ceinture avant le tremblement de terre [...], et d'autant plus maintenant, pour fournir une assistance à la zone touchée par le tremblement de terre. C'est pourquoi, chaque jour, nous essayons de voir comment nous pouvons réduire nos priorités", explique Mihyung Park.
"Bien sûr, cela signifie que les personnes qui ont vraiment besoin d'aide ne recevront pas d'aide".
Les Afghanes qui rentrent au pays sont confrontées à d'énormes obstacles
Les Nations unies mettent également en garde contre les risques croissants auxquels sont exposées les Afghanes qui rentrent chez elles, alors que les restrictions imposées par les talibans aux droits des femmes et des jeunes filles s'intensifient.
"Elles sont confrontées à des défis considérables, surtout celles qui reviennent d'Iran : elles sont assez éduquées et exposées à une société plus ouverte où elles allaient à l'école, avaient un emploi et une bonne formation universitaire", indique Mihyung Park.
"Lorsqu'elles reviennent, elles sont anxieuses et incertaines à l'idée de s'adapter à une société afghane où elles n'ont pas de liberté de travail et où l'éducation est un énorme défi".
Jeudi, l'agence des Nations unies pour les réfugiés a annoncé qu'elle interrompait son aide aux rapatriés afghans après que les talibans ont empêché son personnel féminin afghan de travailler.
Dans un communiqué, l'ONU a déclaré que "les forces de sécurité afghanes de facto ont empêché le personnel féminin national et les contractants des Nations Unies d'entrer dans les enceintes de l'ONU à Kaboul", ajoutant que des agents de sécurité étaient "visiblement présents" à l'extérieur des locaux de l'ONU à Kaboul, Herat et Mazar-i-Sharif.
L'OIM maintient son "engagement à apporter une réponse fondée sur des principes dans le pays", assurant qu'elle continuera à "soutenir les femmes, les hommes, les garçons et les filles afghans vulnérables grâce à des programmes humanitaires et de résilience, mis en œuvre par [...] du personnel féminin et masculin dans tout le pays".
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