La guerre et Chopin : deux univers photographiques de Wojciech Grzędziński

Depuis 1927, et tous les cinq ans, Varsovie devient la capitale mondiale de la musique classique grâce au concours international de piano Frédéric Chopin. Cet événement attire les regards (ou plutôt les oreilles) des amateurs de musique classique du monde entier.
Pour les jeunes pianistes, c'est un moment décisif auquel ils se préparent souvent depuis leur plus tendre enfance. La victoire est enfin l'occasion d'une carrière mondiale, d'une place sur les plus grandes scènes musicales et peut être dans l'histoire de la musique.
Wojciech Grzędziński, photojournaliste polonais dont le travail est fortement marqué par deux leitmotivs éloignés : la guerre et Chopin, fait partie de ceux qui documentent cet événement depuis deux décennies.
Photographe entre deux mondes
Wojciech Grzędziński, lauréat de prix prestigieux tels que le World Press Photo, le Grand Press Photo, le Visa d'Or ou le Sony World Photography Awards, effectue depuis des années des reportages sur les conflits armés au Liban, en Géorgie, au Sud Soudan et en Afghanistan et, depuis le début de l'invasion à grande échelle de la Russie, il passe plusieurs mois par an dans diverses régions d'Ukraine.
Tous les cinq ans, cependant, il est attiré à Varsovie par le concours Chopin, dont il est le photographe officiel. Les organisateurs de l'événement, connus pour leur sélection rigoureuse de journalistes, font confiance à son œil.
Comment se fait-il que la guerre et Chopin soient des domaines particuliers de son travail ?
"Je ne me suis jamais senti exclusivement photojournaliste de guerre". - explique Grzędziński. "Paradoxalement, j'ai photographié le premier concours Chopin un an avant de participer à mon premier conflit. Ces deux mondes - la guerre et la musique - sont intimement liés dans mon travail. Le concours n'est pas pour moi une thérapie ou une échappatoire, mais un domaine d'activité photographique complètement différent, très éloigné du front".
Pour Grzędzinski, le concours Chopin "est un repère dans le temps, un ancrage dans la réalité." Quoi qu'il arrive dans le monde, il revient à Varsovie pour cet événement depuis 20 ans.
Photographier la guerre et le concours Chopin peut sembler extrêmement éloigné, mais Grzędziński y voit un dénominateur commun.
"Pour moi, la clé de la photographie est u*n être humain dans un moment extrême de sa vie",* explique Grzędziński alors que nous discutons dans la salle de la Philharmonie nationale de Varsovie pendant une courte pause au cours des auditions qui durent plusieurs heures. "Il y a une scène devant nous où tous les pianistes qui viennent ici pour affronter et tenter leur chance au concours sont placés dans une situation absolument extrême. Mais aussi de se mesurer à eux-mêmes, à d'autres pays, d'être jugés par le jury, par le public. C'est une situation limite et c'est la même chose, me semble-t-il, que l'extrême d'une situation de guerre. Bien sûr, les risques sont différents, mais le niveau d'émotion qui accompagne ces événements est paradoxalement très similaire."
Grzędziński photographie le concours Chopin depuis 2005, année où, comme il l'admet, il s'est retrouvé par hasard dans les coulisses de la Philharmonie. À l'époque, j'étais photographe pour "Rzeczpospolita", qui est toujours le mécène du concours.
Après un voyage difficile au Bélarus, où j'ai contracté diverses maladies, mon patron Michał Sadowski m'a dit : "Vas au concours Chopin, tu t'y reposeras".
"C'etait assez pervers, vu la quantité de travail qu'il y a au concours", se souvient-il en souriant.
À l'époque, il aimait bien ses photos, elles changeaient la façon de montrer le concours.
"Elles étaient un peu différentes. Nous avons rompu avec l'habitude de ne montrer les pianistes que depuis la scène. Nous avons commencé à nous faufiler dans les coulisses, afin de montrer plus de choses et aussi la vie difficile d'un musicien. Car c'est une vie pleine de sacrifices. Des heures de répétitions solitaires, d'entraînement. Cela ressemble beaucoup à la vie d'un athlète, car ce sont des heures d'entraînement. Souvent seul dans la salle. Cela vaut la peine de le montrer." explique-t-il.
Les coulisses du concours Chopin
Cette année, 84 participants de 18 pays se sont inscrits à la 19e édition du concours, dont 28 Chinois, 13 Polonais et 13 Japonais. Quarante pianistes, dont quatre Polonais, ont atteint la deuxième étape. Nous connaîtrons le nom du vainqueur lors de la finale, qui se déroulera du 18 au 20 octobre.
Les organisateurs du concours Chopin souhaitent offrir aux participants les meilleures conditions possibles de concentration. C'est pourquoi Grzędziński est l'un des rares à avoir accès aux coulisses.
Les photographies nous permettent de ressentir l'atmosphère du concours, mais aussi de voir comment la musique rassemble les gens au-delà des frontières. Des gens qui communiquent entre eux en utilisant le langage des études, des valses, des nocturnes et des préludes - de Chopin, bien sûr.
Mais qu'observe-t-il là-bas ? Quelles scènes, quelle atmosphère ?
"Chacun des 84 pianistes de cette année est un individu à part entière. Il y a des jeunes de 16 ans et des presque trentenaires, chacun avec un bagage d'expérience différent. Il est intéressant de voir comment ils gèrent le stress. Tout à l'heure, Yehuda Prokopovich jouait un personnage rongé par le stress. D'autres s'enfoncent même en eux-mêmes, essayant de se couper de la réalité qui les entoure". dit-il.
Grzędziński souligne que ce qui le fascine chez les personnes qu'il photographie, c'est leur passion. La participation au concours est précédée non seulement de préliminaires, mais aussi d'années de pratique.
"Certaines personnes donnent leurs premiers concerts à l'âge de quatre ans ! Nous parlons d'une situation où une personne de 20 ans a déjà 15 ans d'expérience professionnelle ! C'est incroyable de rencontrer de telles personnes et d'échanger avec elles."
Quand la guerre rencontre Chopin
Parfois, les deux mondes de Grzędziński - la guerre et Chopin - se confondent et s'entremêlent de manière surprenante. Au sens propre du terme. L'un de ces événements lui a valu le prix de la photographie de l'année au Grand Press Photo 2022.
"C'était le 5 mars 2022. Une bombe est tombée sur Biala Cerkiew, une ville située à environ 80 kilomètres au sud de Kyiv. Soudain, il y a eu une explosion dans la ville où nous nous trouvions. Kyiv était encerclée sur trois côtés par les Russes. Nous nous sommes rendus sur les lieux et il s'est avéré qu'une bombe ou une roquette avait explosé entre les maisons individuelles - à ce jour, je ne sais pas ce que c'était exactement". - Grzędziński se souvient.
L'une des maisons qui a le plus souffert est celle d'Irina Maniukina, une pianiste de 48 ans à l'époque, qui l'a laissé entrer chez elle.
"La façade a brûlé, la porte a été enfoncée, tout a volé. Sa fille a également été légèrement blessée. Heureusement, il ne s'agissait que d'égratignures. Nous avons donc fait le tour de la maison. À un moment donné, elle [Irina] s'approche du piano, enlève la housse de protection et commence à jouer. Sur un instrument complètement désaccordé, dans une pièce aux fenêtres brisées, elle commence à jouer Chopin. J'ai eu des frissons à ce moment-là. Parce que ce sont mes deux mondes photographiques qui se sont croisés en un seul endroit et à un seul moment".
Le concours international de piano Frédéric Chopin, qui a débuté en 1927, est l'un des événements musicaux les plus importants au monde. Il s'accompagne de nombreuses manifestations, dont une exposition de photographies de Wojciech Grzędziński des quatre éditions précédentes du concours. Elle est visible au Hala Koszyki de Varsovie jusqu'au 22 octobre 2025 (entrée gratuite).
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