"Le but de la désinformation, c’est que les gens ne croient plus en rien": comment les climatosceptiques mettent à mal la science
Par Margot Hutton
La désinformation climatique s'intensifie partout dans le monde en 2025, alimentant doutes, divisions et retards dans l'action collective. Orchestrée par certains groupes industriels, politiques et réseaux internationaux, elle freine l’adhésion aux solutions et menace la mobilisation mondiale face à l’urgence climatique.
La désinformation climatique s'intensifie partout dans le monde en 2025, alimentant doutes, divisions et retards dans l'action collective. Orchestrée par certains groupes industriels, politiques et réseaux internationaux, elle freine l’adhésion aux solutions et menace la mobilisation mondiale face à l’urgence climatique.
"Partout, nous devons lutter contre la désinformation, le harcèlement en ligne et le greenwashing". Cette mise en garde a été faite le 22 octobre dernier par Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, devant l'Organisation météorologique mondiale (OMM) des Nations unies à Genève. Il fait référence aux propos tenus par le président américain Donald Trump à la tribune de l'ONU un mois plus tôt, pour s'en prendre au changement climatique.
Selon lui, le réchauffement climatique est "la plus grande arnaque jamais menée contre le monde". Cette déclaration spectaculaire, prononcée devant les leaders de la planète, illustre la persistance et la puissance du climato-scepticisme, même au sommet de la politique internationale.
Des mécanismes connus mais un fond qui évolue
Le même jour le 22 octobre, Data for Good, QuotaClimat et Science Feedback ont publié une étude recensant 529 cas de désinformation climatique dans les médias français entre janvier et août 2025. En juin 2025, le Panel international sur l’information et l’environnement (Ipie) avait déjà publié le tout premier rapport scientifique sur la désinformation climatique.
Il explique que les entreprises de combustibles fossiles et une partie du monde politique diffusent des récits trompeurs sur le changement climatique et son origine humaine, de manière intentionnelle.
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Le rapport met également en évidence les acteurs à l’origine de la désinformation climatique. Il s'agit principalement de personnes associées à l'industrie pétrolière. On trouve également des hommes politiques affiliés à des cercles de droite, ainsi qu'à certains pays, tels que la Russie.
Le sociologue Laurent Cordonier énumère dans le quotidien Ouest France "des personnes qui présentent les solutions pour répondre au changement climatique, comme des mesures de réduction de libertés individuelles, et qui en font leur fonds de commerce."
Ce n'est pas comme ça qu'on peut construire un raisonnement scientifique.
Vincent Dubreuil, professeur de géographie à l’université Rennes 2
Mais n’y a-t-il pas de garde-fou? "Il n’y a pas vraiment de régulation sur la question climatique: c’est à celui qui criera le plus fort, qui sera la plus relayé", analyse pour Ouest-France Vincent Dubreuil, professeur de géographie à l’université Rennes 2 et coprésident du Haut conseil breton pour le climat.
Des pratiques qui concernent le grand public comme les décideurs
La désinformation climatique ne se limite plus à semer le doute: elle freine concrètement les politiques publiques et érode la confiance des citoyens., explique Jean Sauvignon, responsable data de QuotaClimat, interrogé par TV5MONDE. Les polémiques autour des zones à faibles émissions (ZFE) en France en sont un bon exemple. "Ce n’est pas un cas franco-français", poursuit le responsable data. "On observe les mêmes vagues de désinformation à Londres, Madrid ou ailleurs autour de cette même problématique."
Ces campagnes prospèrent sur des valeurs sensibles, comme la liberté ou la souveraineté. "Ça touche du doigt quelque chose de très sensible", souligne Jean Sauvignon, évoquant notamment la Lettonie, où les fausses informations sur les véhicules électriques ont été perçues comme une attaque contre la liberté individuelle.
Les narratifs de désinformation contribuent largement à créer cette opposition entre les élites déconnectées et le peuple.
Jean Sauvignon, responsable data de Quota Climat
Les conséquences dépassent la simple opinion publique. Le responsable cite l’exemple du blackout en Espagne, faussement attribué aux énergies renouvelables, dont la rumeur s’est ensuite retrouvée… dans un amendement au Sénat français, dans le cadre du vote de la programmation pluriannuelle de l'énergie n°3, qui fixe les grandes orientations de la politique énergétique du pays sur une période de dix ans. "C’est très concret : un cas isolé à l’étranger peut finir dans un texte politique en France", note Jean Sauvignon.
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Et à terme, à quoi ce procédé peut-il mener? "Le but ultime de la désinformation, c’est que les gens ne croient plus en rien", explique Jean Sauvignon. Il cite des exemples récents, comme des habitants refusant d’évacuer lors de l’ouragan Milton aux États-Unis, convaincus qu’"on voulait leur voler leur maison", ou encore la diffusion de faux numéros d’urgence pendant les inondations de Valence. "Cette méfiance généralisée envers les institutions et les médias donne lieu à de vraies conséquences sanitaires", analyse-t-il.
Quelles solutions ?
Face à l’ampleur du problème, des solutions se multiplient. Les plateformes de vérification de faits comme Science Feedback jouent un rôle central en évaluant la véracité des informations virales liées au climat. Les médias développent des cellules de “fact-checking”, et certaines écoles intègrent désormais un enseignement de l’esprit critique et de la littérature médiatique.
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Le 23 octobre, la justice française a condamné TotalEnergies pour écoblanchiment. Elle estime que l’entreprise a commis des pratiques commerciales trompeuses en communiquant sur son "ambition d'atteindre la neutralité carbone" et "d’être un acteur majeur dans la transition énergétique". Ce jugement établit un précédent juridique important et incite tout le secteur énergétique à mieux aligner ses communications sur ses véritables actions environnementales
Par ailleurs, l’Union européenne et plusieurs pays étudient des régulations pour encadrer la diffusion de fausses informations environnementales, sans pour autant limiter la liberté d’expression. Enfin, l’éducation à l’esprit critique et à la littérature médiatique, déjà introduite dans certaines écoles, figure parmi les leviers essentiels pour rendre la société moins vulnérable face à la manipulation de l’information.
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