Quand des crayons deviennent "pieuvre" en apesanteur

Par AFP Par Sandra BIFFOT-LACUT, avec Emmanuelle MONIER à bord de l'avion © 2025 AFP

Attachés ensemble par une cordelette, huit crayons de couleur dansent comme une "pieuvre" dans l'espace d'une cabine d'avion pour le premier vol en apesanteur de l'artiste française Elise Parré, qui flotte à leurs côtés à bord de l'Airbus A310 Zéro-G.
"L'impression physique est très forte, plus que je ne pensais, le mouvement des crayons, que je n'avais pas anticipé, très beau", commente-t-elle, filmée par l'AFP, encore étonnée d'avoir flotté comme une plume dans l'habitacle pendant 22 secondes, tête en bas, à l'occasion d'un vol parabolique opéré par Novespace.
Cette filiale du Cnes, l'agence spatiale française, reproduit les conditions d'apesanteur vécues par les astronautes dans l’espace, permettant de réaliser des expériences scientifiques à moindre coût. Des artistes sont aussi accueillis depuis une dizaine d'années.
Des sangles et des filets de sécurité tapissent la cabine dédiée à l'expérience. Elise Parré, dont les oeuvres conceptuelles se déclinent en dessin, en écritures, en vidéo ou en sculptures, y a arrimé sa propre caméra et installé un fond noir pour pouvoir filmer la scène.
"Je suis partie d'une image qui m'a beaucoup plu, un bricolage fait en 1965 par le Russe Alexeï Léonov", premier cosmonaute à avoir fait une sortie extravéhiculaire. "Il adorait dessiner et l'a imaginé pour emmener ses crayons dans l'espace. Je l'ai reconstitué à ma manière pour lui donner une vie autonome", explique-t-elle.
Pour reproduire les conditions d'apesanteur, l’A310 Zéro-G, qui vole à environ 10.000 mètres d'altitude, s'incline soudainement à 45 degrés et pousse les gaz. Lorsqu'il atteint le haut d'une trajectoire en forme de cloche, il les coupe avant de redescendre.
Cette séquence sera reproduite une trentaine de fois au total au cours d'un vol d'environ trois heures, sous l'oeil vigilant d'une équipe veillant à la sécurité des passagers.
"Ce qui est très chouette pour moi, c'est de rendre réel quelque chose qui est du côté de l'imagination" en faisant voler ces crayons. "Il y a une dimension absurde et en même temps enfantine", ajoute l'artiste, se réjouissant du "côté animal, pieuvre" de l'objet.
Dans les mois qui viennent, elle créera une oeuvre à partir du déplacement en apesanteur de cette matrice.
En attendant, assise au sol dans sa combinaison bleu et blanche, elle dessine avec ces crayons une figure humaine couronnée.
- Champ d'expérimentation unique -
Résidences de création hors du commun, les vols paraboliques ont été ouverts depuis 2014 aux artistes par l'Observatoire de l'Espace, le laboratoire culturel du Cnes, créé en 2000 et dirigé par Gérard Azoulay.
"Ils ouvrent un champ d'expérimentation et de pensée tout à fait unique pour les artistes qui s'arrachent à la terre et explorent le milieu extraterrestre", s'enthousiasme-t-il.

Avant son vol, Elise Parré avait traduit en plaques de béton sérigraphiées l'aventure spatiale française dans le Sahara algérien à Hammaguir, après avoir eu accès aux archives du Cnes (photos, discours, iconographie, archives audiovisuelles...).
D'autres artistes ont réalisé des céramiques à partir de moules façonnés en apesanteur, des sculptures en 3D reproduisant ses effets sur le corps humain ou encore une gravure sur marbre d'après une spirale dessinée en vol.
Certaines oeuvres de la collection de l'observatoire de l'espace ont été présentées récemment à Paris au Centre Wallonie-Bruxelles.
A partir du 18 octobre, une exposition réunira celles de 16 artistes à la Friche Belle de Mai à Marseille, parmi lesquels l'Américano-Brésilien Eduardo Kac.
Ce pionnier de l'art des télécommunications pré-internet a conçu une sculpture en papier baptisée "Télescope intérieur" réalisée par le spationaute français Thomas Pesquet le 18 février 2017 à bord de la station spatiale internationale (ISS).
Plus étonnant encore, "Oscar", un dispositif écrivant une partition de musique à partir de la vitesse, la lumière ou la température dans l'espace, a été arrimé en février sur l'une des plateformes de l'ISS.
"Lorsque cette grande machine à écrire de la musique reviendra sur terre, probablement en février 2026, on n’aura plus qu’à imprimer presque un an de partition pour piano et synthétiseur modulaire", annonce à l'AFP l'artiste Stéphane Thidet, qui l'a conçue avec les équipes du Cnes.
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