En Ethiopie, l'héritage contesté d'Hailé Selassié cinquante ans après sa mort

Par AFP Par Dylan GAMBA © 2025 AFP

Certains louent un "modernisateur", d'autres décrient un "autocrate" qui a favorisé une ethnie et est resté sourd à une famine qui faisait rage: cinquante ans après sa mort, l'héritage d'Hailé Selassié, dernier empereur d'Ethiopie, reste contesté, dans un pays de plus en plus polarisé.
Sur l'une des dernières photos connues du Négus (roi), prise le 12 septembre 1974, jour de son renversement par des militaires, le frêle empereur à la longue barbe, entouré de soldats, est escorté hors du palais d'Addis Abeba.
C'est la fin d'un règne qui aura duré 44 ans, 5 mois et 9 jours, le plus long de l'histoire impériale éthiopienne. C'est aussi la fin de trois millénaires de monarchie absolue dans le pays d'Afrique de l'Est.
Moins d'un an après, dans la nuit du 26 au 27 août 1975, Hailé Sélassié, alors âgé de 83 ans, meurt, assassiné par le régime militaire marxiste du Conseil militaire d'administration provisoire (Derg). Selon une version généralement admise, l'empereur aurait été anesthésié avec un oreiller préalablement imbibé d'éther avant d'être étouffé.
"Mitigée"
Durant son long règne, Tafari Makonnen, qui prend le nom de Haïlé Sélassié 1er après son couronnement en novembre 1930, a été un "modernisateur", et "peut être considéré comme le fondateur de l'Ethiopie moderne", souligne auprès de l'AFP Ian Campbell, historien spécialiste du pays.

"Il a lancé d'importants programmes de développement dans les secteurs de l'agriculture et de l'éducation, et, par son intérêt pour les voyages internationaux et les affaires étrangères, il a véritablement fait connaître le pays", poursuit-il.
"Sa plus grande contribution fut l'éducation, il a d'ailleurs lui-même été ministre de l'Education. Il a aussi modernisé le pays, avant lui il n'y avait pas de Constitution, pas de police", énumère Beedemariam Mekonnen, petit-fils de l'empereur âgé de 68 ans, qui fut emprisonné pendant 12 ans sous le Derg.
Mais malgré ces avancées, la perception du Négus, cinquante ans après sa mort, est "aujourd'hui très mitigée", pointe M. Campbell, évoquant un règne "autocratique".
"Cela dépend de la personne interrogée. Le pays apparaît aujourd'hui plus polarisé ethniquement qu'il ne l'était sous le règne de l'empereur, la réponse peut également être influencée par l'origine ethnique de la personne interrogée et par sa perception du règne de l'empereur comme étant celui d'un régime amhara", affirme-t-il.

Durant le règne du Négus, l'Ethiopie était dominée par les Amhara. Aujourd'hui, le pays, le deuxième plus peuplé du continent avec quelque 130 millions d'habitants et mosaïque de plus de 80 ethnies, est miné par les divisions.
Une guerre civile a fait rage entre 2020 et 2022 dans la région septentrionale du Tigré et fait des centaines de milliers de morts, et des conflits armés ensanglantent les régions Amhara et Oromia, les plus peuplées.
Le pays est dirigé depuis 2018 par le Premier ministre Abiy Ahmed, originaire de l'Oromia. Aucune cérémonie officielle n'est prévue pour commémorer l'empereur.
"Mauvaise gestion"
Dans l'enceinte de l'immense cathédrale de la Sainte-Trinité, en plein coeur de la capitale Addis Abeba, les portraits de l'ancien souverain sont partout. C'est ici que le monarque repose depuis 2000.

Vingt-cinq ans après sa mort, le "Vieux lion d'Abyssinie" a eu droit à funérailles publiques mais pas officielles. Ses restes étaient conservés depuis 1992 dans une église après avoir été extraits d'une fosse, où il avaient été jetés par les dirigeants de la révolution de 1974.
"Je l'admire", lance Fitsum, guide informel qui n'a pas voulu donner son nom de famille, et arbore de longues dreadlocks, évoquant lui aussi la contribution de l'empereur pour l'éducation ainsi que son "engagement panafricaniste", dans un pays où siège l'Union africaine.
Car l'empereur est toujours très populaire auprès des adeptes du rastafarisme, un mouvement spirituel né dans les années 1930 au sein des descendants d'esclaves de Jamaïque. Les rastas considèrent Haïlé Sélassié comme un Messie noir - en raison de son ascendance censée remonter au roi Salomon et à la reine de Saba.

Mais pour Beedemariam Mekonnen, "le problème c'est qu'il est resté trop longtemps au pouvoir, donc on finit par faire des erreurs", évoquant la sécheresse qui a frappé l'Ethiopie en 1973 et 1974 qui a fait entre 100.000 à 200.000 morts, selon les sources, et entraîné la famine dévastatrice dans la région septentrionale du Wollo.
"Il s'était rendu sur place mais on lui a montré des endroits où il n'y a pas de famine. Et cette faute lui a couté cher, et il y a eu de la mauvaise gestion, souligne-t-il. Comme dans toutes les dictatures, on n’ose pas dire les choses au dirigeant."
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