"Des obstacles visibles et invisibles" entravent l'accès à l'avortement en Europe, dénonce Amnesty International
Par Terriennes
Par Isabelle Mourgere
Coûts prohibitifs, délais à rallonge, clause de conscience, campagnes d'intimidation contre les personnels médicaux, discours anti-IVG sur les réseaux sociaux... En Europe, l'accès à l'avortement est de plus en plus entravé, constate Amnesty International dans une récente enquête.
Coûts prohibitifs, délais à rallonge, clause de conscience, campagnes d'intimidation contre les personnels médicaux, discours anti-IVG sur les réseaux sociaux... En Europe, l'accès à l'avortement est de plus en plus entravé, constate Amnesty International dans une récente enquête.
"La dure réalité, c’est que malgré d’importants progrès réalisés en Europe, l’accès à l’avortement est toujours restreint par un ensemble perturbant d’obstacles visibles et invisibles", constate Monica Costa Riba, responsable du travail de campagne sur les droits des femmes à Amnesty International.
Intitulé Quand les droits ne sont pas une réalité pour tout le monde. La lutte pour l’accès à l’avortement en Europe, ce récent rapport d'Amnesty International montre que, en dépit d’avancées emportées de haute lutte, des obstacles dangereux et préjudiciables continuent de compromettre l’accès à l’avortement.
Et cela dans un contexte où des groupes anti-droits disposant de moyens de plus en plus considérables multiplient les efforts pour influencer négativement les lois et les politiques en la matière.
Des victoires durement acquises en matière de droits reproductifs courent un risque grave d’être compromises par une vague de politiques régressives soutenues par le mouvement anti-genre. Monica Costa Riba, Amnesty International
"Des victoires durement acquises en matière de droits reproductifs courent un risque grave d’être compromises par une vague de politiques régressives soutenues par le mouvement anti-genre et défendues par des politiciens et politiciennes populistes ayant recours à des pratiques autoritaires.", regrette Monica Costa Riba.
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Des réformes, sur le papier
Des réformes juridiques ont rendu l’avortement plus accessible dans de nombreux pays d’Europe, mais dans certains cas, celles-ci ont du mal à s'appliquer concrètement.
Les plus touchées sont les communautés marginalisées, notamment les personnes à faibles revenus, les adolescent·e·s, les personnes en situation de handicap, les personnes LGBTIQ+, les travailleuses et travailleurs du sexe, les personnes demandeuses d’asile, pointe le rapport d'Amnesty.
Vingt pays d’Europe au moins imposent toujours des sanctions pénales aux femmes enceintes qui avortent en dehors du cadre de la loi.
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Clause de conscience
Le coût de l’intervention peut aussi être prohibitif, en particulier dans les pays où elle n’est pas prise en charge par l’assurance maladie ou le système national de santé de la personne concernée. C’est notamment le cas en Allemagne, en Autriche, en Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, à Chypre, en Croatie, au Kosovo, en Lettonie, en Macédoine du Nord, au Monténégro, en Roumanie, en République tchèque et en Serbie.
Par ailleurs, Amnesty dénonce le nombre de plus en plus élevé de professionnels de santé qui refusent de pratiquer des IVG en raison de leurs convictions personnelles ou religieuses.
Dans des pays comme l’Italie ou la Croatie, ces refus de soins pour des raisons de conscience sont très répandus et leur nombre augmente en Roumanie.
"Délai d'attente obligatoire"
En Hongrie, les femmes qui souhaitent avorter sont obligées d’écouter les battements de cœur du fœtus.
Un délai d’attente médicalement non justifié reste aujourd'hui obligatoire dans douze pays européens au moins. 13 pays obligent les personnes enceintes à assister à des consultations de conseil. En Albanie, en Allemagne, en Belgique, en Hongrie, en Lettonie et au Portugal, ces deux pré-requis sont obligatoires.
Chaque année, des milliers de femmes enceintes sont contraintes de se rendre à l’étranger, en raison des difficultés qu’elles rencontrent pour accéder à un avortement dans leur propre pays.
Un vaste mouvement anti-genre en Europe
Selon Amnesty, tous ces efforts déployés pour faire reculer l’accès à l’avortement en Europe sont le fait d’un mouvement anti-genre bien financé et transnational.
A l'origine de ce vaste mouvement de fond: des groupes de pensée ou des organisations conservatrices et religieuses, dont les discours sont relayés par des influenceur·euse·s sur les réseaux sociaux.
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Exemple en Croatie où l’influence des responsables politiques anti-droits au sein du gouvernement, associée à une alliance croissante entre des militant·e·s antiavortement et l’Église catholique, a entraîné plusieurs tentatives de restriction de l’accès à l’avortement.
En Slovaquie, plusieurs tentatives ont eu lieu au Parlement pour restreindre ou interdire cet accès tandis que des modifications de la Constitution, adoptées en septembre 2025, vont sérieusement éroder les droits en matière de procréation.
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Natalité vs "grand remplacement"
Amnesty International dénonce aussi la situation en Hongrie où les femmes font face à de nouveaux obstacles dans l’accès à l’avortement, à la contraception et à la planification familiale.
C'est le cas aussi en Italie où le parti au pouvoir a mené des initiatives législatives pour permettre à des groupes antiavortement, ou qui "soutiennent la maternité", d’accéder à des centres de conseil par lesquels les personnes enceintes doivent obligatoirement passer si elles souhaitent avorter légalement.
Dans les deux cas, les autorités ont justifié ces mesures par des arguments tels que le faible taux de natalité, ainsi que par une rhétorique raciste et fallacieuse selon laquelle les migrant·e·s seraient en train de "remplacer" la population blanche "native" du pays.
Les "pro-vie" passent à l'offensive
Les rassemblements de militant·e·s antiavortement, souvent agressifs, parfois violents, aux abords d' établissements spécialisés dans la santé sexuelle et reproductive se multiplient.
L’avortement est un soin de santé essentiel et un droit humain. Monica Costa Riba, Amnesty International
En Pologne, un centre d’avortement installé à Varsovie en mars 2025 est régulièrement la cible de harcèlement et d’actes d’intimidation de la part de groupes anti-avortement. Amnesty signale l'existence de campagnes d'intimidation du même ordre en Autriche, en France et en Allemagne.
"L’avortement est un soin de santé essentiel et un droit humain", rappelle Monica Costa Riba, "Les gouvernements et les institutions européens doivent prendre des mesures décisives pour que la fourniture de soins d’avortement soit conforme aux normes internationales (...) en opposant une résistance ferme à toute tentative, de la part de groupes anti-droits, de bloquer l’accès en temps opportun à des soins d’avortement sûrs, ce qui constitue un acte dangereux menaçant la vie et la santé des personnes".
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