Le kajmak vieilli en outre de brebis, un fromage ancestral que la Bosnie veut protéger
Par AFP Par Rusmir SMAJILHODZIC © 2025 AFP
Sur un haut plateau du sud-est de la Bosnie, Branka Buha surveille les mouvements de ses vaches via un signal GPS envoyé sur son téléphone, mais quand il s'agit de fabriquer le kajmak, un fromage crémeux, elle ne déroge pas à la méthode artisanale: l'affinage dans des outres en peau de brebis.
"C'est une tradition transmise par ma mère, par ma belle-mère. Maintenant, je la transmets à ma belle-fille. Elle est arrivée en mai et elle a déjà bien appris", s'enthousiasme Mme Buha, 55 ans, dans son atelier dans le hameau de Domrke, à 1.200 mètres d'altitude.
Aux alentours de Domrke, à une quinzaine de kilomètres de Gacko, les pâturages s'étendent à perte de vue dans un paysage vallonné, où les tâches du jaune automnal des feuillus contrastent avec l'herbe toujours verte.
Ici, il y a l'altitude, le vent et l'herbe, explique l'agricultrice à l'AFP : tout ce qu'il faut pour produire un bon "Kajmak iz mjesine", un fromage crémeux affiné dans une outre, un sac en peau de bête - surtout de brebis ou d'agneau.
Matin et soir, sitôt après la traite de ses huit vaches, Branka Buha fait cuire le lait dans une grosse marmite, puis le verse dans des bassines en émail ou des récipients en bois.
Un mois... ou un an
"Un jour ou deux plus tard, ça dépend de la température ambiante, on ramasse la peau du lait qui se forme à la surface", explique-t-elle, en récoltant à la cuillère une couche jaune épaisse de plusieurs millimètres.
Après une pincée de sel, cette matière crémeuse est laissée à reposer dans un tonneau en bois pendant une vingtaine de jours, puis transvasée dans des outres.
"Plus il reste dans l'outre, plus il mûrit et acquiert le goût spécifique de l'outre. C'est ce qui le rend unique", explique Mme Buha.
Nettement plus fort que le kajmak traditionnellement vendu dans les marchés et les épiceries, celui qui vieillit dans les outres est imprégné de l'odeur de la peau animale, qui lui donne un arrière-goût de viande d'agneau.
Les outres sont aussi fabriquées sur place. Une fois rasée, la peau est séchée au dessus d'une fumée. Puis, "nous la lavons soigneusement et y enfournons le kajmak, qui est ensuite affiné dans l'outre jusqu'à un mois. Mais il peut même y rester pendant un an", dit Branka Buha.
"C'est une ancienne méthode de conservation. Quand il n'y avait pas d'électricité ni d'autres moyens modernes de conservation, on utilisait l'outre pour préserver ce fromage", explique Dragana Milovic, présidente de l'Association des productrices du kajmak de Gacko (sud-est).
"Prestige"
Avec son mari, Branka Buha produit "entre 500 et 600 kilos" de ce kajmak par an. Tout est vendu sur le pas de la porte ou dans un restaurant - où il est généralement servi pour accompagner un plat de viande.
On peut aussi le manger sur une tartine, recouvert d'un peu de miel, ou l'ajouter à la "cicvara", une sorte de polenta locale.
Le produit a obtenu en 2024 une appellation d'origine protégée au niveau national - qui a fait monter le prix au kilo de 40 marks convertibles (20 euros) à 50 marks convertibles (25 euros).
Pour obtenir l'appellation, le fromage doit être produit uniquement avec le lait des vaches qui broutent dans une zone bien spécifique de la région de Gacko, et nourries en hiver uniquement avec le foin récolté sur place.
L'association a récemment déposé une demande de protection auprès de l'Union européenne (UE), explique Dragana Milovic.
Candidate à l'adhésion, la Bosnie a déjà le droit d'y faire protéger ses produits. Mais il s'agit d'une question de "prestige" plus que d'exportation, ajoute-t-elle, car les quantités sont insuffisantes.
Wednesday, november 26, 2025