Gaza : le Hamas a-t-il manipulé délibérément les statistiques sur les victimes civiles ?

Le ministère de la Santé de Gaza, dirigé par le Hamas, a supprimé sans préavis des milliers de noms du bilan des victimes dans sa mise à jour du mois de mars, selon une nouvelle étude.
Quelque 3 400 décès précédemment identifiés dans les rapports d'août et d'octobre 2024 ne figurent plus dans les fichiers PDF publiés par le ministère, qui ne fait pas de distinction entre les combattants et les civils.
Au moins 1 000 enfants figurent parmi les noms retirés de la liste, selon deux rapports de recherche qui ont corroboré leurs conclusions respectives.
Les données, montrant les numéros d'identification qui ont été retirés du dernier rapport du ministère, ont été rendues publiques lundi par Salo Eisenberg, un chercheur de l'ONG américaine Honest Reporting.
"Les listes n'étaient pas très fiables et nous avons trouvé des tas d'erreurs", a déclaré à Euronews Andrew Fox, membre associé du groupe de réflexion Henry Jackson Society, basé au Royaume-Uni.
Trois méthodes de rapport des victimes
Les chercheurs s'inquiètent que les chiffres aient été intentionnellement gonflés par le Hamas, d'autant plus que les chiffres du ministère de la Santé sont largement diffusés dans les médias internationaux et considérés comme pertinents par des organisations telles que l'ONU, et qu'ils suscitent de nombreuses réactions populaires voire des évolutions politiques.
L'inquiétude est d'autant plus grande que les listes peuvent être remplies par toute personne disposant d'un lien vers le document mis à disposition sur Google Docs.
Cela signifie que le Hamas aurait pu parcourir la liste et ajouter délibérément d'autres noms comme victimes, affectant ainsi le total, mais aussi les détails - tels que l'âge - des victimes, mettant ainsi l'accent sur les femmes et les enfants tout en dissimulant ses pertes et son rôle dans le conflit.
"Il y avait trois méthodes de rapport", explique Andrew Fox, qui a publié son analyse en décembre 2024. "Il y a d'abord la présence d'un corps physique dans un hôpital. Il y a les sources médiatiques - le bureau des médias du gouvernement parcourant les réseaux sociaux pour essayer de trouver des rapports sur les personnes décédées et les ajouter à la liste".
"La troisième méthode est un formulaire Google en ligne que tout le monde peut remplir, même en ce moment. Et ce formulaire est ajouté à la liste", poursuit-il.
Le Hamas a-t-il délibérément modifié les chiffres ?
Selon les chercheurs, la grande question qui découle de ces résultats est l'écart entre l'âge et le sexe des personnes tuées, ce qui peut faire la différence entre les meurtres aveugles et les combattants tués dans la guerre urbaine, un point de discussion clé parmi les critiques anti-israéliens.
Par ailleurs, Gaza est également l'un des endroits les plus densément peuplés de la planète, où près de 50 % de la population a moins de 18 ans - contre 18 % dans l'Union européenne -, ce qui signifie qu'un nombre élevé de victimes civiles reste plausible, en particulier parmi les jeunes.
"Si l'on observait un massacre aveugle, on s'attendrait à ce qu'environ 26 % des hommes adultes soient tués", explique Andrew Fox. "Dans la tranche d'âge de 13 à 55 ans, qui est celle des combattants du Hamas - car nous savons qu'ils utilisent des enfants soldats - 72 % des victimes sont des hommes".
"Tous ces éléments indiquent donc clairement que les combattants sont ciblés et qu'il ne s'agit pas d'un massacre aveugle", ajoute le chercheur.
"Il s'agit toujours d'une tragédie, quel que soit le nombre de civils tués"
Les chiffres du ministère de la Santé dirigé par le Hamas étaient considérés comme exacts lors des précédents conflits à Gaza, car des organisations internationales indépendantes les corroboraient.
Toutefois, ce n'est plus le cas depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée par les attaques du 7 octobre 2023 - au cours desquelles le groupe islamiste palestinien a tué quelque 1 200 civils en Israël et pris des centaines d'autres en otage - car il est devenu impossible de vérifier les affirmations relatives à la situation sur le terrain en raison d'un black-out médiatique.
Le ministère de la Santé du territoire a récemment affirmé que le nombre de morts dans la bande de Gaza avait dépassé les 50 000. L'armée israélienne affirme avoir tué quelque 20 000 combattants du Hamas, tout en faisant état d'environ 3 000 morts et blessés parmi ses soldats.
Par ailleurs, Andrew Fox estime qu'une panne du système informatique du ministère en novembre aurait pu avoir un impact sur les chiffres communiqués et expliquer certaines erreurs. D'autres problèmes liés aux rapports indiquent toutefois des pratiques douteuses, nuance cependant l'expert.
"Je serais très surpris que les décès naturels ne soient pas inclus dans cette liste, parce qu'il n'y a pas eu de rapport séparé sur les décès naturels", déclare-t-il.
"Il s'agit toujours d'une tragédie, quel que soit le nombre de civils tués", souligne Andrew Fox. "Mais je pense que les médias du monde entier ont fait preuve de négligence en prenant ces chiffres comme parole d'évangile, alors qu'il est évident que des combattants [du Hamas] sont morts".
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